Saturday, June 6, 2009

Looking for Eric, de Ken Loach

Eric, dans une tentative folle et inconsciente de se tuer, fonce sur les routes anglaises, et fait plusieurs fois le tour d'un rond-point, en sens inverse. Depuis qu'il s'est séparé de Lilly, il ne tourne plus rond, et ses amis le voient bien. Postiers pour la plupart, comme lui, ils débordent d'amitié, et tentent de l'aider, de le faire rire. Mais Eric est à bout, ne tient pas le rythme des lettres qu'il trie, n'arrive plus à se faire aimer ou respecter de ses deux beaux-fils. A l'un d'eux, il pique l'herbe que l'adolescent planque sous le plancher de sa chambre, et la fume en parlant à son héros, à Eric Cantona, affiché en grand sur son mur. C'est lors d'une de ces discussions solitaires que Cantona lui répond, en chair et en os et en français. Eric, poussé par son homonyme, lui raconte, se raconte, et revoit sa vie par flash-backs, sa vie avec Lilly. Des années et des années de séparation, mais il n'a toujours pensé qu'à elle. Eric, poussé, possédé par Cantona, se reprend en main, surmonte sa peur de revoir l'amour de sa vie, la mère de leur fille devenue grande, et maman.


Alors, Ken Loach ferait dans le drame amoureux, en oubliant le social? Non, car le réalisateur place Eric dans sa ville, dans sa poste, dans son bar, au milieu de ses amis fidèles, tous pris par la même fièvre du football, puissant catalyseur de leurs émotions et éternel sujet de toutes les conversations. Ses amis soutiennent Eric, qui reprend son rôle de père, quand son fils se met dans une situation dangereuse. Il reprend sa place dans sa famille, et relève la tête au milieu de ses amis. Ces derniers se serrent les coudes pour lui. Le football, pour ces gens pas trop riches, c'est un brin de rêve, de fierté, et aussi un acteur de la vie politique. Ken Loach met les beaux-fils d'Eric dans la situation de jeunes, presque délinquants, mais pas tout à fait perdus encore. La voilà, la situation sociale. Voilà une micro-société dépeinte, dans toute la force de son optimisme.


Ce contexte social est cependant amené tout en subtilité, car c'est le renouveau d'Eric lui-même qui est mis en avant. Ken Loach, pour parler de la société anglaise, par avant tout d'un homme anéanti depuis des années déjà, et qui, arrivé à bout de force, tente de reprendre goût aux choses simples. Cantona est là pour asséner ses proverbes et incarner la force et la volonté qui existent encore tout au fond d'Eric. Jamais le Cantona, bien réel, n'indique la marche à suivre; c'est là qu'on reconnaît qu'il est un fantasme, un support imaginaire; c'est toujours Eric qui prend les décisions, inspiré par son prophète.


Cela donne des situations incongrues, entre réalisme d'un contexte social embrouillé, et fantasmagories naissant dans l'herbe ou dans l'alcool. Cantona, superbe, fait preuve d'une gentillesse étonnante derrière son imposance et son statut d'idole. Ses dialogues, parfois en français, sont évidemment plein d'humour. Ken Loach fait rire, émeut beaucoup aussi, et enseigne, l'air de rien. Quant à sa narration, elle est juste parfaite, et surprenante. Le film est une succession de séquences chronologiques, entrecoupées de flash-backs habilement introduits par des conversations entre Eric et son mentor. Peu à peu le passé se dévoile, alors qu'Eric change et évolue pour avancer vers son avenir.


C'est un film surprenant et plaisant que Ken Loach, un nouvelle fois, offre aux spectateurs.





Looking for Eric
de Ken Loach
avec Steve Evets, Eric Cantona, Stephanie Bishop,...
sortie française: 27 mai 2009

1 comment:

axx said...

Bon, je l'ai vu et je rejoins assez ton avis.

J'ai trouvé qu'il y avait un peu un côté Calvin et Hobbes dans l'existence réelle ou non de Cantonna: alors qu'on se dit que c'est juste l'imagination d'Eric qui est responsable, on nous glisse un clin d'œil laissant entendre que peut-être, finalement, Cantonna serait réel.

Bref, un chouette film en tout cas!


Et content de voir que tu fais (toujours) tes notes sur les films! Je pense que c'est un bon angle d'attaque pour un blog…


ps: la recette pour les tempuras, ça m'intéresse toujours! :)