Tuesday, June 1, 2010

Lisette Model - Willy Ronis

Deux photographes, dix années d'écart, des voyages; entre New-York et Paris, Lisette Model et Willy Ronis aiment les gens et les photographient. Leurs approches du sujet ne sont pas exactement les mêmes; leurs méthodes de tirage se rapprochent. Avant l'ère numérique, ils saisissent sur la pellicule les visages. Photographes dits humanistes, ils sont tous deux exposés en ce moment, l'une au Jeu de Paume et l'autre à la Monnaie de Paris.





Lisette Model ne profite malheureusement que d'un tout petit espace au Jeu de Paume. De ses reflections - le terme me rappelle forcément Lucian Freud, qui disait de son autoportrait dans le miroir, puis sur la toile, qu'il était reflet -, aux portraits de célébrités - elle en a fait peu -, en passant par ses anonymes accoudés au bar, on retient le tendre grotesque des corps qui s'offrent à la photographe. Lisette Model, alors qu'elle commence son métier vers ses trente ans, profite à raison d'une reconnaissance rapide. Elle travaille avec la presse, énormément, et est exposés à New-York comme une artiste contemporaine à quarante ans. Lisette Model s'approche de son sujet avec discrétion, fait oublier son objectif; elle capte des instants uniques avec toute sa spontanéité.


On sent plus de lenteur dans le travail de Willy Ronis; il fait souvent poser ses sujets, et parfois attend, patiemment, l'instant propice, au milieu des foules.  Alors que Lisette Model revendique la beauté seule d'une image instantanée, d'une rencontre impromptue et mystérieuse, Willy Ronis n'hésite pas à raconter mille chose autour de son cliché; la façon dont il a abordé et prévisualisé intérieurement sa photo; son dialogue avec le sujet, avec le décor ou la lumière; l'instant magique dans lequel il a capté son idée première. Il ne refuse pas non plus la surprise, lorsqu'elle se présente; et il la redécouvre, émerveillé, dans sa chambre noire.



Lisette Model s'interdit de connaître son sujet; Willy Ronis recherche la complicité; leurs approches sont différentes sur le terrain, quoiqu'ils aient la même ardeur humaniste à photographier les personnes. Tous les deux, en chambre noire, ont la même perspective: retravailler cadrage, luminosité, pour obtenir le meilleur du négatif. Leur manière de prendre la photo, le plus souvent en extérieur, sans ajout rébarbatif de spots, sans artifice, donne forcément au négatif des défauts. Quasiment aucun des clichés des deux photographes sont tirés dans leur intégralité; le recadrage est passage obligé, second œil de l'artiste sur une image fixe, sur cet instant de vie capté dans son mouvement. Willy Ronis ajoute même, en commentaire de ses photographies, des précisions: "recadré à droite"; "attention à la luminosité sur le pavé". On sent leur travail commun de prêter attention à toute chose, et ce minutieux labeur de la chambre noire.


J'ai également fait le rapprochement de leur travail avec celui que de nombreux blogueurs proposent aujourd'hui: The Sartorialist, Garance Doré, The Face Hunter, pour ne citer que les plus connus, sortent les anonymes des foules, et les immortalisent. Évidemment, ces blogueurs ont une approche "mode", et pas vraiment revendicatrice. Cependant, leurs travaux se ressemblent un peu, car il possède ce subjectif que possède Lisette Model et Willy Ronis. Leur œil errain capte l'émotion, l'étonnant, la surprise ou le choc, le tendre ou le grotesque, l'absurde, l'impressionnant; ce qui les touche et les frappe, c'est ce qu'ils souhaitent capter et partager.


Un dernier point sur les mises en scène des deux expositions: toutes deux sont assez lamentables. La lumière crue et les intérieurs sombres (notamment à la Monnaie de Paris) ne mettent pas en valeur les cadres. Les interviews à écouter sont remisées dans de petites salles inconfortables, avec quelques vidéos très laides pour Willy Ronis, et pour ce dernier, une émission radio inaudible.


Lisette Model
jusqu'au 6 juin 2010


Willy Ronis, une poétique de l'engagement
jusqu'au 22 août 2010

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