Tuesday, May 14, 2019

#BRM400 Strasbourg - 404km, 2950D+

Sur chaque ride longue distance, les moments compliqués passent. Au fil des kilomètres parcourus, on traverse différents climats, reliefs, états d'esprit. Pour un moment qui semble dur, il y aura un instant clément. Je ne vais pas donner de détails sur ce qui m'a fait considérer l'abandon du BRM400 de Strasbourg le week-end dernier. Je ne veux pas avoir à me justifier. Croyez moi sur parole, c'était difficile et les éclaircies avaient été absentes sur près de 200km. Il restait 150km à rouler.

Après plusieurs villages traversés, enfin un café sur le bord de la route. Arnaud roule avec moi, patiemment, il devrait continuer seul, être plus vite chez lui, au sec. Il faut que je m'arrête, pour 15 minutes au moins, et peut-être même que c'est mon BRM400 qui se termine ici.

Dans le bar, un chien aboie. Au billard, deux jeunes hommes disputent bruyamment une partie. A une table, c'est l'heure des bières, en pinte. Au comptoir, des bouteilles de Heineken. De la chanson française hurle dans les hauts-parleurs. Le patron et deux habitués se refont la discographie d'Hubert-Félix Thiéfaine en chantant. Ca doit bien faire dix ans que je n'ai pas entendu Lorelei. Frigorifiée, j'ôte mon casque, ma gapette, l'énorme toutou vient me renifler. Je demande un thé, avec plein de sucre. Je mange le carré de chocolat qui vient avec et je me bats faiblement avec l'emballage de mon sandwich. Le corps n'a plus d'énergie, il est fatigué, saturé d'eau et de vent, il proteste en tremblant. J'ai envie de pleurer et de rire, dans cette ambiance joyeuse et assourdissante, alors que dehors il fait froid et le ciel refuse de s'éclaircir. Arnaud a pris un chocolat, il attend que ma crise passe, sans se départir de son calme, sans mots inutiles. Le thé ne me réchauffe pas mais le sucre me fait du bien. C'est ce dont j'ai besoin, l'énergie de faire les 40 kilomètres jusqu'à Soultz et alors je trouverai une gare. Quand on sort du bar, un des joueurs de billard nous souhaite bien du courage, en riant. Il ne comprend pas à quel point j'en ai besoin, juste pour continuer jusqu'au checkpoint suivant. Pour terminer le BRM, il me faudra retrouver aussi l'envie. Je n'ai plus aucun plaisir à rouler. Il y a seulement de la fatigue, même plus la force d'avoir un peu de fierté. Je suis vidée. J'ai une paire de gants longs et secs. Je ne les ai pas encore mis car en 5 minutes, ils auraient été aussi mouillés que mes mitaines. Dehors, avec les doigts au sec pour 5 minutes, mes jambes ont envie de faire demi-tour, mon épaule de pousser la porte du bar, mes fesses de trouver une chaise, je veux me faire toute petite et regarder ces gens gueuler. Je suis plantée là, à combattre cette pensée. Arnaud attend que je me décide, il frissonne aussi, alors je remonte sur mon vélo et on repart.

Du bar, j'ai posté une vidéo sur Instagram. Je déclare en avoir assez. J'ai lu plus tard les nombreux messages qui me disaient de me reprendre et d'y retourner. De me reposer un instant, de repartir, de finir. C'est au mental que ça se joue. Merci pour tous vos petits mots. Heureusement je ne les lis pas sur le champ, je me sentirais coupable à l'idée d'abandonner. Je ne m'arrête pas d'habitude entre deux checkpoints. Si je me suis stoppée dans ce bar, c'est que je ne pouvais pas faire 40km de plus. Je n'abandonne pas. Si la pensée était si présente cette fois-ci, c'est que j'étais vraiment au bout de moi-même. Y aller au mental ? C'est ce que j'ai fait. Ou plutôt, j'ai coupé les connections entre mon corps qui n'en pouvait plus, et mon cerveau. Je ne me suis pas écoutée et j'ai continué à rouler. A tous ceux qui louent ma force mentale, est-ce que je ne me suis pas mise en danger ? Au lieu d'être forte, je suis peut-être complètement stupide.

Magie de la longue distance, la pluie n'était plus si perçante et s'est même arrêtée complètement, mes doigts sont restés au sec, on a vu un arc-en-ciel et une cigogne se poser gracieusement dans un champ. J'ai continué jusqu'à Soultz puis j'ai continué encore et terminé le BRM. Mais le mal était fait, je m'étais épuisée, et c'est sans joie que j'avançais, en comptant chaque coup de pédale qui ne me rapprochait que trop lentement de l'objectif de 400km. Plus j'avançais et moins j'avançais vite. Mes tentatives de relance me propulsaient à 25km/h grand max.

Je suis heureuse d'avoir terminé, et aussi de ne pas avoir à supprimer un week-end de repos qui arrive bientôt (au cas où j'aurais eu à trouver une autre opportunité de qualification pour Paris-Brest-Paris). J'ai roulé 19h30 et je me suis arrêtée au total seulement 2h. Je n'ai pas de séquelles physiques, pas de fourmis dans un membre, pas la peau des fesses meurtrie. Si ce n'est un gros manque de sommeil, une légère nausée qui m'a suivie pendant deux jours, le corps, qui flanchait le premier, se remet. J'ai franchi une étape mentale sur ce BRM400, mon moral a pris un coup, et moi, une bonne leçon.

photos de notre Vélocio avec Elisabeth et Elodie. Je n'avais pas pris mon appareil photo avec moi sur ce BRM400. Je ne devrais pas rouler un weekend trop pluvieux pour mon appareil photo.

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