Mardi, 8h, je sors de chez moi et me retrouve devant le supermarché fermé. Inventaire ? Je suis toujours dans le mouvement et Paris dort encore. A cette heure-ci, j'aurais du me trouver sur la route, à environ 150km de Ramatuelle, ou de Draguignan, où je prévoyais de scratcher, de quitter la course pour attraper mon train. Je ne m'attendais à rien, j'espérais certaines choses. Rien de tout ça n'est arrivé. J'ai validé les checkpoints, les 4 premiers, dans l'ordre : Besançon, Gruyère, la Sacra di San Michele, Château Queyras. J'étais loin de mes prévisions, mais toujours dans mes marges, si je continuais à rouler, sans m'arrêter. Encore un orage, encore plus violent. En voiture alors, capitaine Joseph à la barre, pour secourir des naufragés de la route, coincés derrière des coulées de boue, arrêtés par la grêle qui reste au sol comme de la neige, à partir de ce moment, lorsque je suis revenue sur mes pas, la course s'est arrêtée.
Dans le train de nuit, je me souviens de ceux que je prenais au Vietnam. C'est étrange, je ne pensais pas qu'en France on voyageait ainsi, les couchettes sont pleines. Je découvre encore le monde, en-dehors des routes prévues. Pas envie de me mêler à la population cependant, j'ai pris un siège inclinable, je bivouaque dans mon sac de couchage, chaussettes trempées dans mon casque, j'ai les pieds glacés. Je veux qu'on me fiche la paix. L'odeur de chien mouillé fait reculer les curieux, sauf une jolie âme qui veut me prêter un pull. Son geste me touche. Je refuse, je peux endurer une nuit à la dure. Qu'est-ce qui est le plus difficile, ce retour anticipé ou l'inconfort physique dans lequel ce train de nuit me met ?
En grimpant l'Izoard puis dans la descente vers Château Queyras, je me rappelais un autre voyage, en vélo en Italie. C'était mon premier voyage à vélo, celui qui m'a lancée sur les routes. Quelle chance de pouvoir rouler, d'être en forme, même si mon cerveau un peu embrumé me fait sangloter. J'ai des jambes qui me propulsent ; le ciel noir qui menace, la pluie et les coups de tonnerre (je compte les temps entre les éclairs et le vacarme, je suis au coeur de l'orage), les montagnes au-dessus de moi, les fleurs jaunes dans la descente... quel spectacle, quel bonheur d'être là pour vivre ! Tous les kilomètres parcourus depuis Les Pouilles m'ont amenée ici. Je suis seule dans la montagne à jouir d'une nature déchainée. Je n'ai pas peur, je sanglote bêtement alors que tout cela me rend terriblement heureuse.
Avant ça j'ai grimpé pour la deuxième fois de ma vie le Montgenèvre. J'ai reconnu l'épicerie où j'avais mangé des cacahuètes au wasabi. J'avais aussi boulotté toutes les madeleines au sommet, au checkpoint de la BTR2017, juste après la frontière. Cette année, j'ai traversé l'Italie avec Yoann avant d'atteindre le Montgenèvre. Est-ce que tu te rends compte, il y a 3 ans quand on a partagé quelques kilomètres avant l'Aigoual, on ne se connaissait pas ? On a filé sur les routes italiennes, après une soupe à Aoste, après la descente du Grand St Bernard dans le brouillard et la pluie glacée. On a fui jusqu'à Pont St Martin et mangé des pizzas et des glaces. C'est fou l'Italie, c'est fou le temps qui passe et les souvenirs qui se font.
En Suisse, on n'était encore pas trop humides, et à 40km de Gruyère, un bâtiment en chantier nous a couvert pour 5h de nuit. On aurait pu s'arrêter comme ce cycliste, en hauteur, sous les étoiles et face à la montagne, face au coucher du soleil. On a préféré pousser quelques kilomètres encore, pour tomber sur cet abri gigantesque. C'était à 24h du départ, à 40km de mon premier objectif personnel, pas si loin donc, malgré la moyenne imposée par le vent de face depuis Montmédy. Dans la nuit, j'ai perdu François, binôme futur sur la RAF500 ; au matin, j'ai trouvé Matthieu, qui avance désinvolte. Je
manque de café (Juan, we need to talk #DrinkAmbicion) mais pas
d'énergie, j'ai tiré des leçons de mon dernier #BRM400 et j'ai pris du
repos avant le départ. Vendredi, à 22h, je sais pour quoi je roule.
Mon objectif n'est pas d'aller à Ramatuelle à tout prix, en oubliant de cocher des cases. Je veux, pas à pas, faire le voyage. Pour rien au monde je n'aurais dévié de ma route. Je me fiche bien de ne pas être arrivée, je n'ai aucun regret d'avoir bravé le vent et la fatigue, ajouté mes larmes à l'orage, et saisi l'opportunité de renoncer, du moment que j'ai toujours été de l'avant. Si je ne peux plus avancer, je ne recule pas, je m'arrête. Et je repars.
1 comment:
Joli récit
Un truc de barge quand même avec les conditions météo que vous avez eu
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