Depuis toujours je m'épanche à l'écrit dans des journaux que je ne relis jamais. J'ai des dizaines de cahiers, carnets. Sur la route, impossible de prendre le stylo. J'ai donc remplacé l'écrit par l'oral et j'ai pris le pli de parler à mon téléphone. Au début, je le faisais pour moi-même, exactement comme lorsque je tiens mon journal. Je me suis rapidement rendue compte que ça pourrait intéresser d'autres que moi et que le vent qui m'entendait déblatérer seule, le plus souvent dans la nuit. J'ai parlé encore plus. De ces heures de notes vocales, j'ai extrait juste 30 minutes. Pour ceux qui n'auraient pas suivi en live et en anglais mes blablas en stories Instagram (toujours en highlight sur mon profil), voici, agrémenté d'un peu de contexte, mon journal de bord.
DIMANCHE 2H50, quelque part en Autriche
J'ai pris un mauvais départ. Il y a 3 parcours obligatoires sur cette course, et le premier n'est là que pour nous extraire de Vienne. Je rate la piste cyclable, les filles derrière moi suivent et d'autres, connaissant la ville, continuent sur le bon chemin. Pour rien au monde je ne veux rater ces 6km. Pas question de me mettre hors course des le départ, je veux faire partie de la compétition. Demi-tour et je reviens, seule, sur mes pas, pour reprendre la bonne route.
Après ça, les premières heures se roulent sans encombre. Je pressens néanmoins que les nuits vont être dures à passer. Je compte dormir, pas beaucoup, suffisamment pour les réduire un peu. Mais la première nuit se roule sans arrêt.
DIMANCHE 15H30, toujours en Autriche
Retour sur la montée du Grossglockner, le premier vrai morceau de la TPBR, le premier checkpoint et le premier parcours. On a le choix de le rouler dans le sens que l'on veut, et j'ai choisi d'arriver par le Nord. En descendant, le parcours se poursuit sur une piste cyclable jusqu'à Winklem. Trop heureuse d'avoir grimpé en haut de l'Edelweisspitze, et à la recherche de nourriture, je zappe quelques centaines de mètres de piste cyclable au profit de la route. Encore une erreur de parcours, pour quelqu'un qui bosse ses maps à fond, c'est vraiment naze.
Quelques dizaines de kilomètres encore et me voilà en Italie. J'aime l'Italie mais cette portion n'a pas montré le plus joli côté de ce pays. Je m'arrête pour dormir vers 23h à Bolzano, après 31h de route et 29h de selle, 585km et 7000m de D+.
LUNDI 3H30, en repartant de Bolzano
Je repars vers 2H du matin. Le soleil ne s'est pas encore levé, les cafés n'ont pas ouvert et je me traine sur une piste cyclable monotone. Les premières heures sont difficiles. Je me rends compte que le rythme 2H-23H ne me convient pas. Il faut que je me lève et que je parte avec le soleil. Sans soleil, l'aube est peu productive.
LUNDI 20H, quelque part en Suisse, entre l'Albulapass et l'Oberalppass
J'ai roulé lentement, grimpant col après col, m'émerveillant des paysages Alice-au-pays-des-merveille-sques, et des trains dans la montagne.
Cette nuit, je m'arrête de nouveau vers 23H30, au pied du Furkapass, à
Andermatt. Je viens de grimper un col dans la nuit, je ne me sens pas
d'enchainer avec un autre, d'autant que, encore plus que la montée, la
descente a pour moi été éprouvante. Je suis en retard sur ce que j'avais
prévu. Je n'aurais parcouru ce lundi que 307km, un peu plus de 5000m de
D+, en 21h30 et 19h de selle.
MARDI 2H30, Furkapass
J’espère ce jour-ci rattraper mes 70km de retard. Mais je commence avec le Furkapass et donc 2000m de D+. De nouveau, l'absence de soleil me fait un sale effet. J'apprécie le calme de la montée, les étoiles et l'effort qui me tiennent éveillée et m'inspirent pas mal d'envolées lyriques (rassurez-vous, je ne chante pas dans cet extrait).
Néanmoins, je pique du nez dans la descente et dans le plat qui suit pour aller vers le CP2. J'ai froid, la route est monotone, Je m'arrête trop longtemps dans un café et je dépense trop d'argent, pour peu de réconfort.
MARDI 17H38, col de la Forclaz
Je reviens dans ce clip sur le 2ème checkpoint de la TPBR, le col du Sanetsch. J'ai adoré ce col et la descente par le même chemin, qui nous permet d'apprécier l'effort qu'on vient de fournir. Je suis toujours dans les choux par rapport à mes espérances en terme de kilométrage. La Suisse a trop de montagnes !
Il fait chaud ce mardi, et j'ai passé 2 nuits dehors. Je commence à sentir mauvais à rêver d'une douche.
LE COL DE LA FORCLAZ, et arrivée en France
La Suisse m'offre la douche espérée avant de repasser en France. L'orage éclate juste au sommet et je crains de devoir faire une pause là, alors que la frontière n'est qu'à quelques coups de pédales. Dès qu'une promesse d'accalmie se profile, je fuis. Je veux repasser chez moi, retrouver mon réseau téléphonique et puis, changer de bib.
J'engloutis 2 burgers à Chamonix et je me change en fin de journée. Je perds un temps fou et planifie une autre stratégie pour la fin de course. Il faut que je continue à rouler jusqu'à 2H du matin, pour repartir après quelques heures de sommeil en même temps que le soleil. Ça paiera en terme d'énergie, mais je vais m'arrêter a Albertville après 346km, 5600m de D+ et 26h de route pour seulement 21h30min de selle, un ratio que j'aurais pu améliorer.
MERCREDI 7H, en repartant d'Albertville
Ce rythme me convient beaucoup mieux, je ne galère pas en démarrant, même sans café. J'ai continué à cumuler du retard sur mon retard, je suis 130km derrière mon planning.
14H, je m'émerveille des routes françaises. Je suis sur une portion assez passante, pas forcément recommandable à vélo si on n'est pas en course, mais cette route se fond dans le décor... Désolée la Suisse, tes trains et tes tunnels sont trop grandioses pour moi. La France est belle à rouler, plus humblement. Je roule facilement sur cette partie plate. C'est par là que je dépasse les plus longues distances que j'ai jamais faites, je vais au-delà de 1200km pour la première fois.
MERCREDI 21H15, en bas du Ventoux
L'ambiance change. Je suis toujours en retard sur mon planning (spoiler : je ne rattraperai pas les kilomètres perdus) et encore une fois, après avoir passé des heures à m'imprégner de mon futur trajet... je me plante lourdement. J'ai commis l'erreur de mettre sur la même map ma montée du Ventoux par Sault et le début du parcours obligatoire, qui descend via Malaucène. L'aller et le retour se croisent et j'ai pris le parcours obligatoire à l'envers. Après avoir pataugé une bonne heure dans la semoule, dédaignant tous les signaux qui me hurlaient mon erreur, j'ai finalement pris un raccourci, qui m'ajoute aussi 1000m de D+. Sur le coup, je suis persuadée d'avoir perdu du temps. Je n'en ai pas perdu tant, mais mes jambes ont du encaisser ma bêtise et je me maudis.
JEUDI 2H, sommet du Ventoux
Toujours viser plus haut. Je veux arriver la nuit suivante, arriver avant vendredi. A quelques heures près, c'est encore jouable. Je décide de ne pas m'arrêter de la nuit, puisqu'elle sera la dernière.
JEUDI 11H20, vers Sisteron
Trois pauses dans la nuit, sans sortir mon sac de couchage. Mon objectif de départ s'éloigne, mais hors de question de baisser les bras. Je veux coller au plus près de mes prédictions. Je sais que je visais trop haut, que je vais tomber, je désire maintenant ne pas tomber trop loin.
18H30, j'ai passé la montagne de Lure, en la grimpant du côté que je ne connaissais pas. Cette montée s'est faite tout doucement, à 10km/h et dans un état second. Je n'ai croisé qu'un seul cycliste, tout en bas, et puis plus personne, même pas de voiture. Ce calme absolu m'a reposée mais je commence à me dire que j'aurais du dormir pour de vrai, et monter plus rapidement. Arrivée quasiment au sommet, des travaux sur la route m'ont sortie de ma rêverie, je panique.
Je n'ai plus beaucoup pris de notes vocales par la suite. Je suis arrivée sans encombre jusqu'aux Gorges du Verdon, le soleil s'est couché. Je m'accrochais à l'espoir d'arriver dans la nuit de jeudi à vendredi, et puis minuit est arrivé et je n'étais pas tellement plus près de Nice. Après 5 jours de course et une nuit blanche qui aurait du être la dernière, depuis ce mercredi 7H du matin, j'ai tenu plus de 45h quasiment sans dormir, dont 38h de selle, parcouru 644km et grimpé presque 10.000m de D+. Les dernières heures de ma course mériteraient un post à elles seules. Je vous raconterai peut-être.
BONUS, discussion avec Garmin
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