8%,
vertigineux vu d'en haut ; la descente me crispe. Tout droit, ca va
trop vite, dans les virages, j'appréhende mille dangers qui m'attendent
au tournant.
J'adore grimper. Plus l'effort est long, plus je me
réjouis. Chaque virage est une victoire, le paysage qui se révèle, une
récompense. Parfois aussi, le décor m'indiffère. Concentrée sur
l'effort, je ne pense qu'à tirer, pousser, tirer, pousser. Je ne vois
que les deux mètres devant ma roue, deux mètres douloureux ; je relève
la tête, la pente n'a pas bougé. Des panneaux égrènent ma lente
ascension. Sommet à 4km ; j'avais espéré en zapper un, passer si vite
que je ne l'aurais pas vu. Le pourcentage annoncé me fait sourire, la bonne blague ; c'est possible d'accentuer encore le dénivelé ?
C'est ce que je m'étais demandé déjà au précédent panneau. Enfin, le sommet.
Pied à terre, je respire. Pour moi, le pire est à venir.
Je
connais la technique : regarder loin, décrire une belle trajectoire,
freiner juste avant le virage, pas pendant, tirer la pédale, se déporter
légèrement sur la selle... J'ai peur d'aller trop vite et de devoir
freiner en urgence, de glisser, de déraper, de la voiture qui arrivera
en face, du petit caillou qui cassera mon fragile équilibre en sautant
sous ma roue, du cycliste acrobate qui me dépassera de trop près. Peur
des autres et de ce que je ne peux pas prévoir. Et de
moi-même. Je ne crois pas en mes réflexes, je manque de
confiance ; j'ai peur pour ma carcasse, pour mon vélo, extension de
moi-même. Qu'est-ce que notre façon de rouler dit de nous ? Que
révèle-t-elle de moi, alors que je freine dans les descentes ?
Je cherche une raison à mes appréhensions, et me tourne évidemment vers l'enfance : un souvenir enfoui de chute, de douleur, de vertige. Mes parents m'ont posée sur des skis toute petite. Les souvenirs de mes premiers cours sont là, confortablement calée entre les jambes du moniteur. Ma peur venait peut-être de plus loin. Ou alors j'aimais bien me trouver entourée, protégée, chouchoutée. Je ne me rappelle pas du déclic, de ce jour où j'ai pris la décision de voler de mes propres ailes, et de ne plus avoir peur de filer sur la neige et entre les plaques de verglas. En retrouvant la sensation de glisse, et la même appréhension de la pente sur le vélo, j'ai misé sur le temps et attendu d'avoir ce déclic. Quatre années ont passé, je devrais peut-être envisager une autre méthode.
Prudente, constante, lente dans les montées, pas plus rapide dans les descentes, mais, comme la tortue de la fable, économe de mes forces et sans jamais m'arrêter, je vais loin, et plus rapidement que certains lapins. Cette description ne me contente pas. Elle me décrit telle une tortue croisée avec un âne buté, une bâtardise pas bien jolie à regarder et que je dissimule facilement dans le quotidien.
Personne ne saurait deviner le poids de mes angoisses lorsque j'avance sur mes deux pieds. La vie permet de cacher nos peurs On fait des détours, de petits mensonges, on évite les terrains glissants. Est-ce le réflexe bien commun d'auto-défense qui s'attache à mes roues, et défie la gravité dans les descentes ?
Quand on revêt
l'habit de cycliste, le lycra lisse l'extérieur et on est bien obligé de
se montrer tel qu'on est. Il n'est plus possible de dissimuler une
faiblesse quand on passe du temps
sur la route. Rouler nous trahit et le cyclisme force l'honnêteté.
Je ne sais toujours pas descendre, je n'ai pas eu le déclic ni trouvé la cause de ma peur. Mais je crois avoir découvert une des raisons de ma passion pour le vélo : c'est qu'on n'y retrouve pas l'hypocrisie du quotidien. Un écart entre les pensées et la vérité est révélé par les jambes des cyclistes. Ceux qui roulent sont francs et eux-mêmes, et c'est en leur compagnie que j'apprendrai un jour à lâcher les freins.
Je ne sais toujours pas descendre, je n'ai pas eu le déclic ni trouvé la cause de ma peur. Mais je crois avoir découvert une des raisons de ma passion pour le vélo : c'est qu'on n'y retrouve pas l'hypocrisie du quotidien. Un écart entre les pensées et la vérité est révélé par les jambes des cyclistes. Ceux qui roulent sont francs et eux-mêmes, et c'est en leur compagnie que j'apprendrai un jour à lâcher les freins.
3 comments:
Le plaisir de la montée, puis le stress de la descente : j'ai connu ça au début, en ski de rando. Ça a changé, mais je continue à trop freiner à vélo!
Ah, je sais que je ne suis pas la seule ;-)
Bravo Fanny pour ta franchise, pour te livrer en reconnaissant tes forces sans esquiver tes faiblesses, mais en sont elles véritablement ?... Elles ne font que partie du voyage, du chemin à parcourir. Là où je trouve que tu lâches les freins complet, c'est justement dans le partage de tes émotions, de tes peurs, de tes imperfections sur un blog ouvert à tous, dans une période où sur les réseaux sociaux nous nous devons d'être toujours beaux, passionnés, sans faute, avec le soleil couchant en fond, avec la plus stylée des poses, sur la plus belle des destinations et que "pas un cheveu ne dépasse" ....finalement bien, bien loin de la vraie vie. Avec toi, on ne sent pas si seul. Merci !
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