Friday, March 18, 2011

La nuit juste avant les forêts, de Bernard-Marie Koltès

Un homme agonise sur un lit d'hôpital, mais il n'est pas soigné; il est dans un lieu de passage, un squatt abandonné, un espace indéfini, immense, au milieu duquel il est seul. Au-dehors les gens vivent, mais lui meurt. Il a pourtant plein de choses à dire, à raconter, et se rappelle de bribes de temps d'avant. Son débit de paroles le retient à la vie et il s'adresse à un public, à un seul, qu'il imagine devant lui; ses mots le retiennent, faiblement, accroché à la vie.


Bernard-Marie Koltès a une écriture assez inimitable, et ce texte, ponctué sans les points, qui ne respire que par les virgules et les parenthèses, m'avait déjà frappé à la lecture. Un monologue d'une heure et demie ainsi rédigé n'est pas simple à aborder, mais, dès que le rythme est trouvé, les pauses et les changements d'énergie définis, c'est comme une poésie qui se déroule et qu'on écoute accompagnée la musique de la mise en scène. Les répétitions de gestes, les personnages récurrents qui tourmentent le narrateur, son obsession pour l'amour, la pluie, si présente, en font une chanson dont la longueur ne lasse jamais. A chaque mot, on revient en arrière, et, étape par étape, le dénouement approche, sans qu'on oublie jamais le début de l'histoire. Voilà l'excellent départ de cette pièce de théâtre un peu particulière, qui demande à un seul acteur de se donner entièrement sur scène, aussi seul que l'est son personnage.


Et c'est Romain Duris qui s'y colle, de manière assez magistrale à mon grand soulagement, après les horreurs que j'avais lu ici et là. L'acteur de cinéma monte sur scène pour la première fois, dans le rôle d'un homme abandonné entre les mains de Patrice Chéreau. Le comédien et le metteur en scène se connaissent, pour leur collaboration cinématographique dans Persécution. Le courant semble bien passer entre ces deux là; Patrice Chéreau, qui monté des pièces de théâtre bien avant de se lancer derrière une caméra pour réaliser des films, a une image précise du texte de Bernard-Maris Koltès: celle d'un homme tabassé à mort, et qui retient par les mots un inconnu rattrapé au coin d'une rue, pour retarder sa mort par une rhapsodie rythmée. Romain Duris réussit à capter le rythme de Patrice Chéreau, et à interpréter sa chanson, en s'arrêtant où il le faut; il prend ses respirations et son temps pour laisser le spectateur s'imprégner de sa folie et n'a surtout pas peur de jouer aussi de ses silences. A tous ceux qui disaient que Romain Duris n'était pas un acteur de théâtre, il me semble bien qu'ils se trompent; il n'y a qu'à voir, d'ailleurs, ses retours sur scène pendant les applaudissements: derrière ses remerciements, on sent avant tout qu'il reste, encore, dans la douleur de son personnage, et en est tant imprégné qu'il ne s'en débarrasse pas comme d'un manteau un fois le rideau tombé.


Patrice Chéreau a travaillé avec un danseur et chorégraphe Thierry Thieû Niang. Il faut bien avouer que je ne connais pas grand chose à la danse, mais le corps que Romain Duris traîne sur scène possède effectivement une harmonie propre à son personnage. Glissant, fragile, titubant, le personnage se dessine, fragile, et cependant poussé de l'intérieur par une énergie folle et désespérée. Ce travail du corps emplit un décor plutôt vide, qui ne s'appuie sur sur ce lit d'hôpital et quelques affaires éparpillées, un drap, un blouson et des sacs qui contiennent toute une vie.

Je n'ai vu cette pièce que tardivement, et elle ne sera jouée plus que 7 jours environ; de plus, La nuit juste avant les forêts fait salle comble. Cependant, si un siège ici ou là est libre, n'hésitez pas à le prendre, pour être aussi chamboulés par ce texte exceptionnel brillamment mis en scène et interprété avec cœur.



La nuit juste avant les forêts
de Bernard-Marie Koltès
mise en scène de Patrice Chéreau
avec Romain Duris
au Théâtre de l'Atelier jusqu'au 27 mars 2011


Pour information, j'ai moi-même bénéficié du tarif "moins de 26 ans"; il suffit de se rendre au guichet tout au plus une heure avant la représentation et de présenter sa carte d'identité pour bénéficier d'un siège en catégorie 1 ou 2 pour 10€. Alors si on est jeune, on profite.

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