Saturday, December 18, 2010

Armadillo, de Janus Metz

Janvier 2009, une cinquantaine de volontaires danois partent en Afghanistan, à Armadillo. Leur camp est à moins de 500 mètres du premier village. Pendant six mois, ils vont patrouiller, dans le but d'expulser les Talibans hors de ce territoire et de gagner quelques mètres sur l'ère contrôlée par les forces occidentales.


Ce documentaire est tout à fait exceptionnel. Six mois durant, le réalisateur et son équipe ont vécu avec ces jeunes soldats qui rêvaient d'aventures, de combats et de découvertes. Ils prennent part aux patrouilles, discrètement, comme étant des leurs. Pas de voix off, pas de questions directes, pas de témoignages. Le film lui-même en est un, tel un œil impassible sur un quotidien barbare et terriblement véridique. Armadillo a la beauté d'un film-fiction, et terrifie comme seul un documentaire peut le faire. Les images fournies par Janus Metz sont impressionnantes de clarté, de clairs-obscurs et de cadres bien pensés. On imagine alors que tout n'est que fiction, mise en scène. Mais Janus Metz s'est bien placé au bon endroit pour capter ses images, belles et épouvantables. Les mots qui sortent de la bouche des soldats sont plus que naturels; et leurs actes tout autant.


Vous n'avez probablement pas entendu parler d'Armadillo, car les médias ne mettent pas ce documentaire sur le devant de la scène. J'ai découvert Armadillo au hasard de tweets et d'obscurs sites de critiques de cinéma sur lesquels j'erre. Sans savoir ce dont le film parlait, le buzz a joué en sa faveur; et sans avoir vu aucune image, j'ai foncé m'enfermer dans une salle de cinéma. L'intérêt pour ce film est justifié.


Dans la salle, un groupe de chercheurs - ils parlaient fort, j'ai écouté leurs vies; deux amis juste derrière moi, un homme seul, et moi-même. C'est tout le public que le film a pu capter ce soir-là, pas grand monde, mais des gens forcément intéressés par le sujet. La guerre, c'est souvent héroïque, ou sale. Dans Armadillo, la caméra serait presque objective, journalistique, si les types placés devant elle avaient plus de trois grammes de cervelle. Armadillo met en évidence la bêtise de gens qui croient avoir raison, rétablir la paix pour se donner l'excuse de leur violence. Piétinant les champs, réduisant la vie des habitants à d'incessants exils pour laisser les armes parler en leur absence au sein de leur village, les soldats tirent sur d'invisibles ennemis dont on n'entend que quelques tirs, sans jamais les voir. Dans la poussière qui s'élève, entre les herbes qui grimpent, les canons crachent vers des cibles dissimulées, petits points sombres parfois sur un écran de contrôle imprécis.


Un seul traducteur, et un seul homme chargé de la "communication" avec la population font le lien entre le camp danois et les villageois afghans. Les plaintes sont toujours les mêmes, une vache morte, un champ ravagé, et les excuses loin des besoins humains, comme débitées dans le métro "désolé pour les dommages collatéraux". Il y a l'attente, et quelques minutes de chaos absolu, dont ils ressortent revigorés. Ça m'a fait penser à un certain type de peur, de celles qui nous font hurler des insultes, parce qu'on a été surpris. Ça m'a fait penser à une certaine déconnexion, à un monde virtuel; sauf qu'ici, les types ont beau être au beau milieu de la jungle, et penser qu'ils vivent un jeu vidéo, ils tuent et polluent le quotidien de civils, pour de vrai. Énervés par l'inaction, les soldats jubilent: ils ont tiré, ils ont tué. On leur offre un patch en tissu: "tiens, bon boulot, tu t'es pris une balle dans le bras". Ils exhibent leurs blessures, jurent de se venger, se tapent sur l'épaule.


Leurs excuse pour ces massacres? "Tant que tu n'y étais pas, tu ne peux pas comprendre". Comprendre la stupidité de jeunes hommes qui croient connaître un pays alors qu'ils n'en parcourent que 2 km²... Amardillo nous aide à le faire, mais pas à l'accepter.



Armadillo
de Janus Metz
sortie française: 15 décembre 2010

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