Vendredi dans un fast-food, la journée est particulièrement chargée, et Sarah, la manager de l'endroit, stimule son équipe déjà réduite. Une erreur la veille au soir leur a fait perdre quelques milliers de dollars de nourriture, et ils sont à court de cornichons. Un vrai challenge pour des employés, la plupart étudiants, qui s'en fichent pas mal. En début de rush, Sarah reçoit un coup de téléphone d'un officier de police. Il semblerait que la jeune Becky ait plongé la main dans le sac d'une cliente dans l'heure précédente. Sarah suit alors les instructions de l'officier, et relève Becky de son poste, pour la garder sous surveillance. De fil en aiguille, la situation se dégrade.
A un bout du fil, l'officier de police se révèle être un quidam, peut-être psychopathe, peut-être pervers, qui s'amuse de sa mauvaise blague et envenime la situation en manipulant Sarah. Ce film met extrêmement mal à l'aise; j'entendais mes voisins de séance durant le film, et après 'pas crédible', 'comment a-t-elle pu y croire?', etc etc... Pourtant, un type aux Etats-Unis a bien perpétré ce petit jeu presque une centaine de fois, poussant ses victimes aux pires perversités, avec tous les dégâts psychologiques que cela a pu engendrer. Alors préparez-vous à oublier vos petites manies parisiennes; ou, si vous vivez dans une grande ville, si vous avez eu une éducation et que vous n'avez jamais travaillé dans un fast-food, faites un effort supplémentaire d'imagination. Pas que les gens qui bossent dans des fast-foods ou vivent en-dehors d'une capitale soient débiles, non; mais les citadins ont une perpétuelle méfiance, tandis que l'Américain moyen du fin fond de l'Ohio a plutôt tendance à faire confiance à Dieu, le Président, l'Autorité en général.
En plus de manœuvrer délicatement pour faire comprendre que chacun, dans cette affaire, est bien une victime, de Sarah, bourreau, à Becky, poussée aux pires extrémités, Compliance nous remet en tête que nos vies bien protégées ne le sont que par un mur en papier. On ne se sent jamais visé... on n'aurait été du côté de la résistance, nous, durant la guerre, on n'aurait jamais cru à cet officier de police qui ne se montre jamais. Repensez-y. En est-on si sûr? Dans quelle situation tordue, avec tout le contexte de nos vies, peut-on se retrouver, et être certain de réagir sainement? Et si nous restons droit dans nos bottes, peut-on deviner si notre frère, notre meilleur ami, le petit neveu de la famille, qui sais-je encore, quelqu'un de pas si loin de nos en tout cas, réagira aussi avec la tête froide? Non, à deux pas de nous, il y a forcément quelqu'un qui, s'il n'a pas les bonnes informations au départ, pas assez de sang-froid, peut subir ce genre d'attaque. Cela n'arrive pas qu'aux autres, de l'autre côté de l'Atlantique, autant dire si loin qu'ils n'existent pas vraiment.
On ne doit pas devenir paranoïaque pour autant. Mais le film rend compte du pouvoir de la simple rhétorique, auprès de gens qui, je vous l'assure, ne sont pas si éloignés de vous, de moi, de nous tous. Et cette proximité donne à Compliance plus de force encore que celle générée par une réalisation claustrophobique et enivrante, même entre deux décors miteux - on ne peut pas dire qu'un bureau de fast-food soit un lieu hautement excitant à filmer - et qui coince l'oreille de ses personnages au téléphone. Une autre force du film est de donner un visage au faux officier de police, sans le dévoiler dès le début, mais seulement au moment opportun où on aurait pu se lasser du huis-clos entre Sarah et Becky.
L'étrangeté de l'homme qui mène son canular est dans son regard fou, et pourtant clair, qui cherche les mots les plus convaincants et des formules précises. Il est tour à tour amical, froid, supérieur et toujours professionnel. Tout en tirant les ficelles du drame, il mène une vie d'une effarante banalité. Plutôt que de se planquer dans un placard pour se tripoter, excité du résultat de son expérience, il note soigneusement les réponses de Sarah, les réactions de Becky... se balade du bureau au salon, se prépare un sandwich. Ce qui se déroule dans l'intimité du fast-food en devient encore plus malsain.
Compliance est un film intelligent et difficile à supporter, parce qu'il révèle un acte pervers, mais aussi et surtout parce qu'il nous interroge directement, sans qu'on puisse répondre en toute bonne foi, tout simplement car personne n'a été mis dans une telle situation... Et, finalement, je crois pour ma part que je préfèrerais encore n'avoir jamais à constater ma propre attitude, confrontée à une manipulation.
Compliance
de Craig Zobel
avec: Dreama Walker, Ann Dowd, Pat Healy,...
sortie française: 26 septembre 2012
No comments:
Post a Comment