Un trader qui se plante, et c'est tout le système boursier qui tombe; les banques prennent peur, mais heureusement, pour les sauver, il y a l'Etat. Peu importe que la dette s'aggrave pour lui, du moment que nos banquiers se remplissent la panse. En bout de chaîne, le peuple finit par se soulever, et s'en prendra indifféremment aux uns, et aux autres.
Le scénario est bien connu ces derniers temps. Dans un baragouin inintelligible, on en retient l'essentiel: la Bourse s'affole, les banques s'assoient sur leurs sous, l'Etat met la main à la poche, et l'Etat, c'est le peuple, qui souffre. Ces grandes institutions s'incarnent en quelques personnages: il y a le Gouverneur de la Banque Centrale, les Banquiers, le Trader le Président et ses Conseillers,... Tout comme le décor, juste figuré par des panneaux et des aplats de couleur, dans une usine désaffectée qui se prend pour le palais de l'Elysée, peu importe les détails; le tout est simplement de personnaliser des titres honorifiques pour représenter une fonction globale.
L'idée est audacieuse. Le scénario, adapté d'une pièce de théâtre de Frédéric Lordon, publiée en 2011 dans le feu de l'action de la crise financière mondiale, se sert de ces archétypes pour porter un regard acerbe sur les sociétés qui gouvernent le peuple. On rit beaucoup, mais d'évidences: les banquiers s'en mettent plein les poches, l'Etat est impuissant, les sous gouvernent le monde. Mais il est toujours bon de se moquer clairement, de pointer du doigt intelligemment ce qu'on critique sur les comptoirs de bistrot, sans forcément savoir de quoi il retourne dans le fond.
La mise en scène use de nombreuses déambulations dans un espace modulable pour ne pas rester figé dans son texte. Ce dernier, écrit en alexandrins, pousse la dérision plus loin. C'est dans un langage châtié, déjà avide de jargon, que les dirigeants s'expriment, tout comme pour se faire encore moins comprendre. J'ai trouvé intéressant de pousser ainsi à son paroxysme cette tare française qui est de déblatérer des heures et des heures au cinéma, au lieu de s'appuyer sur l'image. Le cinéma français n'a jamais appris à s'affranchir de ce qui fait la base de notre culture, le monde des lettres. Le théâtre filmé permet de faire une jolie pirouette et de changer un défaut en qualité.
Le grand retournement est une habile moquerie; si seulement l'information pouvait toujours se permettre autant de talent!
Le grand retournement est une habile moquerie; si seulement l'information pouvait toujours se permettre autant de talent!
Le grand retournement
de Gérard Mordillat
avec: Jacques Weber, Elie Triffault, Jacques Pater,...
sortie française: 23 janvier 2013
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