Thursday, August 29, 2019

#ParisBrestParis2019 - 1225km, 11300D+, 55h de selle/66h30min

6000 cyclistes sont au départ du Paris-Brest-Paris, mythique randonnée de l'Audax, ce mois d'août. La distance ne m'est pas inconnue mais le Paris-Brest-Paris demande un engagement d'une année, pour caser les 4 BRM nécessaires à l'inscription dans les mois qui précèdent, et un de plus l'année précédente. La préparation est longue, l'organisation lourde, mon bilan personnel, confus. Je reste tiraillée, entre gratitude infinie pour tous les encouragements du bord de route, et agacement de me voir considérée comme une bête de foire ; le rythme des checkpoints découpe en distances abordables le long périple, et oblige aussi à subir des arrêts imposés. La nourriture, les partenaires de route, la route elle-même, tout est sujet à compliments et à critiques. Le Paris-Brest-Paris n'est pas aussi clair et limpide qu'une aventure Chilkoot, pas aussi difficile sur le papier et pourtant si chaotique, qu'il se charge d'autant d'émotions. Impossible de faire la clarté sur cet évènement. Je ne vous parlerai donc que de l'obscurité, de la fatigue.
Dans les années 60, un jeune spéléologue descend dans un gouffre de son plein gré, et reste là, dans 4m2 et dans le noir, pendant deux mois. Sur un rythme de 24 heures et 30 minutes, il décale ses jours et ses nuits petit à petit, pour ne compter que 30 révolutions. Au bout de 30 de ses jours, on lui annonce qu'il en passé 60 dans son trou, et on le tire à l'air libre. Il a vécu deux mois, n'en a subi qu'un seul, étiré lentement. Mes 66 heures et 30 minutes de Paris-Brest-Paris font écho à son histoire.
Mon vélo est ce petit espace dans lequel je vais vivre trois jours. Je l'ai rendu confortable : les sacoches sont équilibrées, le ravitaillement à portée de main, la direction indiquée sous mes yeux. Le cintre me permet de me tenir assise, et les prolongateurs de me coucher. Mon vélo transporte mes affaires contre les intempéries, je peux y boire, y manger et je n'aurai pas froid. Je ne compte plus en heures, minutes, secondes, le temps se découpe en distance. Chaque checkpoint égrène ses centaines et ses dizaines de kilometres jusqu'au retour à Rambouillet. A Brest, c'est la moitié du temps. Plus de nuit, ni de jour, mais la faim, et la fatigue, ordonnent les pauses.
Je suis partie à 16h, l'adrénaline du départ m'échauffe encore quand la nuit tombe. Villaines-la-Juhel, Fougères, Tinténiac sont traversées dans le noir, sans froid ni fatigue. 24h de vélo et je n'ai pas sommeil. J'ai roulé seule la plupart du temps, 500km que j'oppose aux 517km épuisants de ma Flèche Vélocio. A Brest, il est 21h et je n'ai toujours pas sommeil. Seulement après avoir passé à nouveau le Roch, je m'endors. Le nombre de phares, qui venaient dans ma direction pour achever leur première moitié de route, s'amenuisent, et je dois trouver un compagnon à qui parler pour maintenir mon attention. A Carhaix, je retrouve des amis et en les écoutant je pose la tête sur mes bras sur une table de cantine ; je pars avec le groupe et le perds dans la nuit.

Comme Michel Siffre, terrorisé par les éboulements du glacier, j'ai peur. Les kilomètres s'étirent, j'avance de dix comme si c'en était trente et le soleil ne perce pas le brouillard. Un compagnon de route bavard m'agace comme un fantôme qui s'accroche aux vivants. Sans voir le paysage autour de moi, avec la distance qui s'étire infiniment longue, le checkpoint est si loin, Rambouillet est perdue. J'arrive à Loudéac où l'espace et le temps se condensent à nouveau. Les amis sont ici, je repars avec eux. 
A Tinténiac, mon objectif de 60h est bien loin. Le temps ne signifiait plus rien depuis cette 2ème nuit, et perd définitivement toute consistance. J'ai crevé, je laisse le mécanicien se charger du remplacement de ma chambre à air. Nouvelle sieste de 10 minutes en le laissant travailler. Dans le monde réel, c'est l'heure de fermeture pour la boulangère. Juste le temps de composer un sandwich, et de compléter ce repas d'un cookie et d'une tarte aux pommes, et le rideau tombe. Il reste 350km à parcourir. Peu importe l'horaire, c'est une deuxième rotation terrestre qui va s'achever, et je suis toujours dans un seul cycle de jour.

Une troisième sieste de 10 minutes, sur le bord de la route, près d'un cimetière, le nez dans les étoiles et ma longue journée s'achève à l'avant-dernier checkpoint, à Mortagne au Perche. Il est 2h30 du matin, et je réunis trois chaises en guise de lit pour 40 minutes de sommeil. Mon premier jour s'achève.

On arrivera à quatre à Rambouillet, Xavier, Guillaume, Pascal et moi, mercredi à 10h30. Gueules fatiguées, ventre affamé, il y a du soleil, il fait si jour qu'on ne dort toujours pas. Un copain s'est déplacé pour trinquer avec nous et pour rouler à la rencontre des autres. Il rétablit la temporalité : il s'est levé un peu tard ce matin, son train a pris du retard. Quel matin, quel retard ? On était sur la route à l'aube du deuxième jour.

Pour écouter le récit qui a inspiré le mien, c'est l'épisode #24 des Baladeurs, le podcast des Others.

2 comments:

Guile said...

Enfin, Des jours et des jours que j'attends. Réussi, merci pour ton post.
Et cette question qui conclue "Quel matin, quel retard ?", elle résume pleinement notre aventure, des objectifs horaires fondus dans la réalité d'une longue page de vie.
Au plaisir de te croiser un jour. Guigui

Guile said...
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