6000 cyclistes sont au départ du Paris-Brest-Paris, mythique
randonnée de l'Audax, ce mois d'août. La distance ne m'est pas inconnue
mais le Paris-Brest-Paris demande un engagement d'une année, pour caser
les 4 BRM nécessaires à l'inscription dans les mois qui précèdent, et un de plus l'année précédente. La préparation
est longue, l'organisation lourde, mon bilan personnel, confus. Je reste
tiraillée, entre gratitude infinie pour tous les encouragements du bord
de route, et agacement de me voir considérée comme une bête de foire ;
le rythme des checkpoints découpe en distances abordables le long
périple, et oblige aussi à subir des arrêts imposés. La nourriture, les
partenaires de route, la route elle-même, tout est sujet à compliments
et à critiques. Le Paris-Brest-Paris n'est pas aussi clair et limpide
qu'une aventure Chilkoot, pas aussi difficile sur le papier et pourtant
si chaotique, qu'il se charge d'autant d'émotions. Impossible de faire
la clarté sur cet évènement. Je ne vous parlerai donc que de
l'obscurité, de la fatigue.
Dans les années
60, un jeune spéléologue descend dans un gouffre de son plein gré, et
reste là, dans 4m2 et dans le noir, pendant deux mois. Sur un rythme de
24 heures et 30 minutes, il décale ses jours et ses nuits petit à petit,
pour ne compter que 30 révolutions. Au bout de 30 de ses jours, on lui
annonce qu'il en passé 60 dans son trou, et on le tire à l'air libre. Il
a vécu deux mois, n'en a subi qu'un seul, étiré lentement. Mes 66
heures et 30 minutes de Paris-Brest-Paris font écho à son histoire.
Mon
vélo est ce petit espace dans lequel je vais vivre trois jours. Je l'ai
rendu confortable : les sacoches sont équilibrées, le ravitaillement à
portée de main, la direction indiquée sous mes yeux. Le cintre me permet
de me tenir assise, et les prolongateurs de me coucher. Mon vélo
transporte mes affaires contre les intempéries, je peux y boire, y
manger et je n'aurai pas froid. Je ne compte plus en heures, minutes,
secondes, le temps se découpe en distance. Chaque checkpoint égrène ses centaines et ses dizaines de kilometres jusqu'au retour à
Rambouillet. A Brest, c'est la moitié du
temps. Plus de nuit, ni de jour, mais la faim, et la fatigue, ordonnent les pauses.
Je suis partie à 16h, l'adrénaline du départ m'échauffe encore quand la nuit tombe. Villaines-la-Juhel, Fougères, Tinténiac sont traversées dans
le noir, sans froid ni fatigue. 24h de vélo et je n'ai pas sommeil. J'ai
roulé seule la plupart du temps, 500km que j'oppose aux 517km épuisants
de ma Flèche Vélocio. A Brest, il est 21h et je n'ai toujours pas
sommeil. Seulement après avoir passé à nouveau le Roch, je m'endors. Le nombre de phares, qui venaient dans ma direction pour achever leur
première moitié de route, s'amenuisent, et je dois
trouver un compagnon à qui parler pour maintenir mon attention. A
Carhaix, je retrouve des amis et en les écoutant je pose la tête sur mes
bras sur une table de cantine ; je pars avec le groupe et le perds dans
la nuit.
Comme Michel Siffre, terrorisé par les éboulements du glacier, j'ai peur. Les kilomètres s'étirent, j'avance de dix comme si c'en était trente et le soleil ne perce pas le brouillard. Un compagnon de route bavard m'agace comme un fantôme qui s'accroche aux vivants. Sans voir le paysage autour de moi, avec la distance qui s'étire infiniment longue, le checkpoint est si loin, Rambouillet est perdue. J'arrive à Loudéac où l'espace et le temps se condensent à nouveau. Les amis sont ici, je repars avec eux.
Comme Michel Siffre, terrorisé par les éboulements du glacier, j'ai peur. Les kilomètres s'étirent, j'avance de dix comme si c'en était trente et le soleil ne perce pas le brouillard. Un compagnon de route bavard m'agace comme un fantôme qui s'accroche aux vivants. Sans voir le paysage autour de moi, avec la distance qui s'étire infiniment longue, le checkpoint est si loin, Rambouillet est perdue. J'arrive à Loudéac où l'espace et le temps se condensent à nouveau. Les amis sont ici, je repars avec eux.
A
Tinténiac, mon objectif de 60h est bien loin. Le temps ne signifiait
plus rien depuis cette 2ème nuit, et perd définitivement toute
consistance. J'ai crevé, je laisse le mécanicien se charger du
remplacement de ma chambre à air. Nouvelle sieste de 10 minutes en le
laissant travailler. Dans le monde réel, c'est l'heure de fermeture pour
la boulangère. Juste le temps de composer un sandwich, et de compléter
ce repas d'un cookie et d'une tarte aux pommes, et le rideau tombe. Il
reste 350km à parcourir. Peu importe l'horaire, c'est une deuxième
rotation terrestre qui va s'achever, et je suis toujours dans un seul
cycle de jour.
Une
troisième sieste de 10 minutes, sur le bord de la route, près d'un
cimetière, le nez dans les étoiles et ma longue journée s'achève à
l'avant-dernier checkpoint, à Mortagne au Perche. Il est 2h30 du matin,
et je réunis trois chaises en guise de lit pour 40 minutes de sommeil.
Mon premier jour s'achève.
On arrivera à quatre à Rambouillet, Xavier, Guillaume, Pascal et moi, mercredi à 10h30. Gueules fatiguées, ventre affamé, il y a du soleil, il fait si jour qu'on ne dort toujours pas. Un copain s'est déplacé pour trinquer avec nous et pour rouler à la rencontre des autres. Il rétablit la temporalité : il s'est levé un peu tard ce matin, son train a pris du retard. Quel matin, quel retard ? On était sur la route à l'aube du deuxième jour.
Pour écouter le récit qui a inspiré le mien, c'est l'épisode #24 des Baladeurs, le podcast des Others.
2 comments:
Enfin, Des jours et des jours que j'attends. Réussi, merci pour ton post.
Et cette question qui conclue "Quel matin, quel retard ?", elle résume pleinement notre aventure, des objectifs horaires fondus dans la réalité d'une longue page de vie.
Au plaisir de te croiser un jour. Guigui
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