Goncourt-isé, largué par sa femme, seul dans sa bastide, enfin, avec pour seules présences, sa servante effacée et sa pute mineure, Charles noie sa vie dans le vin blanc. Son cancer, inévitable, débarque, personnalisé par un être humain un peu dégueulasse, qui ne le quitte pas d'une semelle, s'assoit sur ses genoux, et regarde son agonie. Charles n'aurait plus de raison de vivre; et pourtant il découvre que certains êtres tiennent à lui, et lui donnent la force de tenir encore un peu.
Bertrand Blier aime bien ces histoires de paumés d'apparence pas très belle, et dont il tire, pourtant, de jolies histoires. Cette histoire-là n'est pas facile à aborder. Le cancer n'est pas une maladie dont on fait des fictions, ou alors larmoyantes, tragiques, comme tout ce qui touche de trop près la maladie et à l'agonisant. Le cancer, Bertrand Blier le prend pourtant comme thème de son film, et lui donne un visage, un corps, une voix. Il en fait un personnage, et le colle à son héros. A pleines mains, il se lance dans ce sujet, et à pleines dents en rit. A première vue, on a peur de ce que ça va donner; on a peur de choquer, de rater largement un public qui connaît, pour de vrai, le drame d'une maladie mortelle. Je ne suis pas directement touchée par le sujet; personne dans ma famille ne meurt, ni n'est mort d'un cancer; mais tout un chacun, moi y compris, côtoie de près un malade ou ses proches; nous avons tous lu sur le visage d'un être cher, la désespérance face à une personne malade. Tout le monde peut donc pourrait voir en cette farce une provocation. Tout le monde aussi peut s'émouvoir de cette envie de désacraliser une maladie mortelle, pour pouvoir en parler avec justesse et sans trémolo.
Alors voilà, on rigole bien en voyant Le bruit des glaçons. D'abord, ce type qui traîne son seau à glace comme un enfant suce son doudou, il le mérite bien, son cancer. Charles est égoïste et flambeur, pas franchement sympathique. Et son cancer, interprété par le grinçant Albert Dupontel, lui lance les pires vérités, les meilleures impertinences. On rit, oui, de cette maladie que Charles a cherchée. Ce qu'il lui manque, finalement, c'est l'envie de vivre heureux, alors pourquoi pas un cancer, pour en finir? La provocation est bien là, mais le drame aussi. Le réalisateur n'oublie jamais que c'est de mort dont il parle, et rend son humanité à Charles, pour qu'on se rende compte que ni lui ni personne ne mérite réellement de mourir. Prenant conscience de sa fin toute proche (elle dort dans son lit, mange sur ses genoux, partage son vin blanc), il fait son mea culpa, reconnaît ses erreurs (sans arrêter de boire) et finalement, nous émeut. Et tandis que son cancer imagine les scènes les plus farfelues autour de lui, il possède dans le regard la tragédie de la maladie.
Ce décalage absurde entre des scènes d'une joyeuse loufoquerie, et le drame qui se joue, donne toute sa profondeur au sujet du film. Jamais on n'oublie cette tronche d'abruti de Dupontel, qui est bien là pour tuer. Les dialogues, grandiloquents, pour ce huis-clos qui finalement, aurait pu avoir lieu sur les planches d'un théâtre, rappellent aussi, par leurs tournures grandioses, la grosseur d'une tumeur; dans le même mouvement, ces phrases ampoulées sonnent l'extravagance d'un scénario qui souhaite faire rire et divertir. Quand un autre cancer, celui de Louisa, la servante, débarque, le tableau est complet. On nage en plein délire, dans ces esprits malades qui habitent la bastide.
On pourrait reprocher cette histoire d'amour improbable qui prend un peu le pas sur les hallucinations verbales et imagées de Charles. Elle prend un peu trop de place dans le film, et touche au malsain quand un troisième larron, trop jeune, vient grandir trop vite entre les malades et l'amour. Le fils de Charles a l'impertinence de s'interposer entre son père et son cancer, et la pertinence de lui redonner un peu plus goût à la vie. Mais enfin, son personnage prend tout de même bien ses aises, et son âge, s'il justifie le miroir qu'il renvoie de son père, et de naïves questions d'enfant, est tout de même un peu court pour certaines pratiques. Passée cette épreuve plus morbide que la mort elle-même, le film réussit son pari, de montrer la vie plus jolie et la mort belle salope.
Tout revient dans le bon ordre, le cancer est salement laid, et on est heureux d'un happy end qui le fait perdre. Bertrand Blier réussit haut la main son pari de filmer joyeusement la maladie, de faire rire et de faire parler. Quand aux interprètes, Jean Dujardin en tête (on a plus l'habitude de voir Albert Dupontel dans des rôles déjantés que Dujardin dans le domaine tragique), ils relèvent avec brio le défi avec leur réalisateur.
Le bruit des glaçons
de Bertrand Blier
avec Jean Dujardin, Albert Dupontel, Anne Alvaro,...
sortie française: 25 août 2010
2 comments:
Salut,
Merci pour cet avis.
J'ai moi aussi vu ce film. Mais j'ai un avis plus négatif.
Tout d'abord, il est dommage d'avoir un matériau comme le cinéma et ne pas s'en servir. Ici on a plutôt à faire à du théâtre filmé qu'à du cinéma.
D'ailleurs le jeu des acteurs s'en ressent, ils surjouent (Dupontel et Dujardin en tête, Anna Alvaro étant bien plus en finesse).
Les dialogues aussi s'en ressentent, on a à faire à de longues tirades.
Bien sûr tout n'est pas négatif, l'humour est présent et certaines répliques sont mémorables.
Le tout m'a semblé, tellement lourdaud, didactique, démonstratif comme un film des années 80. Je ne suis d'ailleurs pas loin de penser que ce film a oublié que le temps à passer et qu'on ne fait pas des films en 2010 comme en 83.
Le pire c'est qu'en plus c'est bien pensant : il a mal vécu, il est puni, puis il découvre l'amour et tout fini bien.
Hello Chmox,
Merci pour ton avis! Suis tout à fait d'accord avec toi sur le côté ultra théâtral des dialogues et sur cette mise en scène burlesque, qui renforçait cette impression. Néanmoins, Dupontel et Dujardin savent donner du relief à leurs tirades, et leur jeu, s'il est expressif, n'est cependant pas surchargé.
Sur la fin.. Yep, c'est vrai qu'on peut penser à un happy ending. Mais, attention, ce couple finalement mal assorti, et au sein duquel la bouteille viendra probablement à nouveau jouer les trouble-fêtes, n'est pas si heureux que cela. Ca m'étonnerait d'ailleurs qu'ils se débarrassent tous deux de leur cancer comme cela.
Si la personnification de la maladie est poussée jusqu'au bout en effet, leur balade en voilier correspondrait peut-être à une simple accalmie, et pas une véritable régression?
Bon, je vois que tu as quand même retenu certaines répliques, qui t'ont fait rire.. Tout n'était donc pas à jeter, mais les avis divergents sont toujours bons à prendre!
Post a Comment