Wednesday, November 17, 2010

L'homme qui voulait vivre sa vie, d'Eric Lartigau

Paul Exben a en apparence une vie plutôt sympa: une jolie femme, une maison en banlieue, deux enfants, et la promesse de reprendre le cabinet d'avocats qu'il a fondé avec Anne. En apparence donc, tout va bien; au quotidien, pas d'éclat, pas de colères, mais Paul n'est plus complice avec sa femme; il aime ses enfants, mais le dernier, âgé de seulement quelques mois, le réveille la nuit; Sarah détourne la tête quand il l'embrasse, peut-être même lui ment-elle; Anne va mourir bientôt; les raccords avec Sarah se passent en silence, sur l'oreiller, en surface, sans aller au fond du problème. Sarah le quitte, finalement, une décision probablement raisonnable pour eux deux. Paul aurait probablement surmonté l'épreuve. Et puis, d'un geste malheureux, il tue l'amant de sa femme, un type qui ne lui aurait pas passé la bague au doigt, qui n'en valait pas la peine. Paul reprend son identité, sa vie, celle qu'il n'a pas vécu, seul et part, fuit, vivre d'un hobbie qui aurait pu devenir son métier, la photographie.




Après La Princesse de Montpensier, adapté d'une nouvelle de Mme de Lafayette, je ne sais encore si je dois féliciter un auteur ou un réalisateur. Est-il trop facile de prendre un bon livre et d'en faire un bon film? La réponse est négative, évidemment. Mais le matériau de départ doit être plutôt bon pour en tirer un tel produit. Bien entendu, la qualité d'un film dépend de sa mise en scène, du jeu des acteurs, de son rythme, etc. Pour moi, avant toute chose, un bon film est une bonne histoire. On peut gâcher la matière première éventuellement; on peut aussi la sublimer, et c'est ce qu'Eric Lartigau a fait. C'est donc d'un livre de Douglas Kennedy, The big picture, qui a été adapté.


Le film m'a frappé par sa vérité, chose difficile à trouver sur l'écran; on enjolive souvent, on appuie les clichés pour faire passer un message plus explicatif. Eric Lartigau réussit à décrire un quotidien qui s'affadit. Il n'y a rien à reprocher au couple que forment Paul et Sarah; ils ne s'aiment plus, voilà tout. Ils ne communiquent plus, n'ont plus envie l'un de l'autre, sont fatigués d'être ensemble. Éventuellement, Sarah tromperait Paul. Mais la relation n'a que peu d'importance. Paul aurait pu se remettre d'une rupture, d'un divorce. Les évènement s'enchaînent, et Paul n'est pas un meurtrier. Les circonstances lui font prendre une décision qu'il n'aurait pas toujours choisie. Son changement d'identité est une fuite, et pas un froid changement de direction. Le réalisateur réussit à faire passer ces subtilités sans s'y appesantir, avec un Romain Duris impeccable, parfaitement dépassé par les évènements, terriblement humain.


Je critiquerai simplement les moments de doute, qui possèdent une mise en scène contestable; les images de souvenirs s'accumulent, la caméra tourne autour du personnage, lui même envahi par un flou pas franchement artistique. Ces scènes ne sont pas primordiales, un peu lourdes, et n'interviennent heureusement pas trop souvent.


Derrière la décision de Paul, il y a une peur constante, d'être découvert. Il erre d'abord, sans savoir vraiment qu'il a décidé de vivre avec sa passion. Ses gestes sont ceux d'un automate, qui rassemble auprès de lui les objets qui forment sa nouvelle identité, celle du photographe mort, et le rassure. Et lorsqu'il semble se reprendre, c'est toujours avec prudence, heureux d'être incompris dans un pays dont il ne parle pas la langue, et sursautant à la moindre porte claquée. Paul ne vit jamais sa vie, contrairement à ce que le titre du film tente de nous faire croire. Il vit dans la peau de quelqu'un autre, et il ne deviendra lui-même qu'avec un grand coup de massue qui surgit à la fin du film. La manière abrupte dont la conclusion clôt le film peut sembler hâtive. Mais elle participe à l'énergie du film, celle d'un homme qui jusque là s'est contenu, et respire finalement.



L'homme qui voulait vivre sa vie
d'Eric Lartigau
avec Romain Duris, Marina Foïs, Niels Arestrup,...
sortie française: 3 novembre 2010

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