Tuesday, November 2, 2010

Biutiful, d'Alejandro Gonzalez Inarritu

Uxbal, père de deux enfants dans une ville sale, tente tant bien que mal de garder les mains propres et de faire en sorte que ses enfants grandissent correctement. Son travail est de trouver un emploi à des immigrés sans papiers; Africains ou Chinois, ils subsistent juste, exploités par des compatriotes, et participent à un vaste trafic de contrefaçon, traqués par la police. Uxbal tient cette dernière par des pots-de-vin. Son frère, Titio, tire plus que lui son épingle de ce jeu illégal; il a de l'argent, et profite d'une vie sans attache; il abuse aussi de l'esprit trop faible de la femme d'Uxbal, Mirambra, partagée entre son envie d'être mère et exaspérée par ses enfants. Uxbal tente de maintenir un équilibre pour eux; mais il apprend qu'il ne lui reste plus que quelques mois à vivre, atteint par un cancer. Les morts coincés sur Terre qu'il a le don d'aider à passer de l'autre côté le hantent alors, comme pour qu'il n'oublie jamais la menace qui plane sur lui.


D'Alejandro Gonzalez Inarritu, j'avais découvert à la télévision, il y a bien longtemps et sans connaître le nom du réalisateur son premier long-métrage, Amours chiennes. Le talent d'Inarritu a explosé aux yeux des médias avec son deuxième long-métrage, 21 grammes, exploit renouvelé avec Babel. Cette trilogie repose sur la même forme de narration, ou le destin croisés de personnages réunis autour d'un même évènement fort et dérangeant - un accident de voiture, une mort tragique, un crime accidentel. Un peu lassée par cette redondance, même servie par une réalisation poignante, j'étais curieuse de découvrir Inarritu avec un sujet plus linéaire et centré sur un seul et unique personnage.


De ce point de vue là, Biutiful est réussi. Javier Bardem est de tous les plans, et son visage meurtri, ses traits abrupts donnent vie au personnage d'Uxbal, brillamment interprété. Le festival de Cannes ne s'y est pas trompé, et a reconnu que Javier Bardem méritait largement une récompense pour son rôle et lui a remis le Prix d'interprétation masculine. Les autres personnages, aussi cassés que lui, souvent fouettés et ballotés par les vents, sont aussi superbes, mais pas n'ont certainement pas autant de présence qu'Uxbal. Du côté des personnages, la performance des enfants est aussi exceptionnelle, tout autant grâce au jeu d'acteur que par leur description. Le petit Mateo fait office de moulin à paroles, naïf et doux, déjà blessé par les évènements. Ses découvertes - 'dis papa, tu savais que...?' - et ses bêtises sont presque prémonitoires des évènements touchant Uxbal. Ana, avec sa perception d'adolescente grandie un peu vite, mature et trop jeune pour comprendre avec des mots, est aussi sensible et délicatement mise en scène.


Au-delà de cette jolie galerie de personnage - 'jolie' étant un adjectif un peu faiblard, au vu des évènements traversés par ces personnages -, le talent d'Inarritu est également dans sa réalisation brutale, parfois rapide et mouvementée, parfois plus calme et posée dans des cadres forts qu'il est bon d'apprécier plus longuement. On y ressent une grande force, un désir d'aller de l'avant et d'avancer coûte que coûte, malgré les douleurs et le futur aussi sombre que le présent. Constat social sombre, échec personnel, désenchantement, il n'y pas une lumière d'espoir dans Biutiful. Mieux vaut ne pas être trop déprimé quand on s'installe pour plus de deux heures de film. Le problème réside dans cette noirceur, à la fois belle, et dure, mais trop égale. On compatit avec Uxbal, les enfants, les Africains et les Chinois, qui sont tout de même sacrément au fond du trou; mais on ne vibre cependant pas avec eux, car finalement, l'un contribue au trafic humain et se fait de l'argent sur le dos d'immigrés, qui lui font confiance aveuglément; les enfants semblent innocents de tout cela, mais ne peuvent s'empêcher de donner de l'amour à ceux qui les battent. Le film manque d'un peu de clarté, qui rendrait plus noire la tragédie, et permettrait au spectateur de se sentir le souffle coupé, puis respirer à nouveau pour fondre en larmes ensuite; on reste dans un océan verdâtre sur tous les plans, lancinant de médiocrité. Lorsqu'Uxbal touche réellement le fond du fond, on y est depuis si longtemps qu'on ne peut qu'observer froidement le processus, sans ressentir plus d'émotion.


Quelques idées, ici et là, donnent un air mystique au film. Pourquoi, comment, Uxbal parle-t-il au morts? Ces papillons accrochés au plafond, de plus en plus nombreux, qui viennent chaque soir le menacer d'une fin de plus en plus proche témoignent d'un spiritualisme de l'étrange, trop peu exploités finalement. Un traitement plus fantastique aurait peut-être aidé à faire la balance entre réalité noire et onirisme blanc, celui que l'on retrouve à la fin du film, dans la neige immaculée. Je ne donne évidemment pas de conseils à un réalisateur/producteur/scénariste/autre casquette chevronné, loin de moi cette idée, mais mon inclination à la science-fiction et au bizarre m'a fait regretté le peu d'exploitation de cette si belle image. Trop de rationalité finalement, coupe un peu de l'émotion.


Alejandro Gonzalez Inarritu s'éloigne enfin de son schéma habituel, et ça fait du bien. Mais, ne pouvant plus se cacher derrière la multiplicité des personnages de ses premiers films - et séparé de son scénariste habituel, Guillermo Arriaga -, il découvre la complexité d'une narration linéaire et s'en sort uniquement grâce à sa caméra irréprochable et à un Javier Bardem exceptionnel.


Biutiful
d'Alejandro Gonzalez Inarritu
avec: Javier Bardem, Maricel Alvarez, Eduard Fernandez,...
sortie française: 20 octobre 2010

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