Tuesday, December 6, 2011

Rhum Express, de Bruce Robinson

Paul Kemp, écrivain raté, en manque d'inspiration, et incapable de trouver son sujet dans tout l'alcool qu'il ingurgite, débarque à Porto Rico. Les blancs n'y sont pas bien vus par les autochtones, qui savent bien que ces colons modernes viennent exploiter leurs paysages. Paul Kemp accepte le rôle de rédacteur d'horoscopes dans le journal local, destiné à ses compatriotes, et qui exclut de ses pages tout journalisme autre que bien pensant et publiciste. Entre 'tit punch, partagés avec son nouveau pote, le photographe Bob Sala, et autres substances, dénichées par Moburg, alcoolique survolté et aux idées nazies, Paul trouve le moyen de se faire remarquer par Sanderson, un homme d'affaires qui voit en lui un génie de l'écriture, sans avoir jamais lu une de ses lignes. Paul accepte à demi-mot d'être embarqué dans les affaires illégales de Sanderson, juste pour pouvoir revoir sa jolie femme, Chenault.


Hunter S. Thompson, décédé en 2005, écrivit son second roman, Rum Express, au début des années 60. Oublié dans un tiroir, le manuscrit fut retrouvé en 1997 par Johnny Depp, qui séjournait chez son ami lors de la préparation du film Las Vegas Parano, adapté du premier roman de l'auteur. Johnny Depp décide en 2000 de produire le film; et ce n'est qu'en 2011, soit 6 années après le suicide d'Hunter S. Thompson, que son projet fut mis à exécution. Il me paraît important de faire ce petit topo chronologique. Effectivement, le lien qui unissait l'auteur et l'acteur, celui de l'amitié, est perceptible dans ce film en forme d'hommage. Il explique peut-être une faiblesse du scénario et l'importance donnée à l'ambiance d'images qui souffrent de ne pas raconter grand chose. Paul Kemp, le personnage principal de Rum Express, est un avatar d'Hunter S. Thompson. L'auteur s'inspira de sa propre expérience et de son passage à Porto Rico pour écrire son roman. Johnny Depp, fidèle ami d'Hunter S. Thompson, se met alors dans ses bottes de Paul Kemp/Hunter S. Thompson, qu'il a côtoyé. Quant au réalisateur, choisi par Johnny Depp, Bruce Robinson, il a lui aussi un étrange et fort rapport à son scénario. Alors que Paul Kemp s'illustre par le nombre de mignonnettes piquées dans le minibar de sa chambre d'hôtel et ingurgitées à la journée, et que Moburg boit de l'alcool à 90°, Bruce Robinson, lui, avoue un penchant pour la boisson tel qu'il l'a amené aux Alcooliques Anonymes six années durant. En pleine ré-écriture du scénario de Rhum Express, il replongea dans la boisson, et termina ce travail à l'aide d'une bouteille par jour...


Ces étroits liens du réel à la fiction expliquent sans doute la légèreté du scénario. Effectivement, on suit les pérégrinations de Paul et de ses acolytes sans trop trouver le fil rouge, ni d'enjeux. On saute de rebondissement en rebondissement, de problème créé par les personnages mêmes, en résolution calamiteuse. A la manière gonzo, définie par Hunter S. Thompson en parlant d'un journalisme ultra-subjectif inspiré par des substances illégales, Rhum Express nous plonge dans une ambiance, crée une atmosphère plutôt que d'être logique, rationnel et construit. Le journalisme gonzo privilégie l'anecdote; de la même façon, nos personnages enchaînent les historiettes sans queue ni tête, poussés seulement par leurs esprits détruits par l'alcool, ou autres substances ingurgitées par les globes oculaires... Cela donne lieu à un mix étrange, de scénario incomplet mis en scène génialement. On a du mal à suivre nos héros. Mais si on se laisse emporter par la beauté des images, la chaleur du rhum, la moiteur de Porto Rico... on peut alors apprécier Rhum Express. Le mieux serait au bord de la plage, dans une villa tous volets clos, avec une quantité de rhum au moins égale à celle que boivent Paul, Bob et Moburg réunis en main.


La caméra de bruce Robinson parvient à capter une révolution portoricaine dans toute sa violence; et le je-m'en-foutisme des blancs fiers de leur monnaie autour d'eux. Toujours bien placée, sans jamais avoir l'air de se trouver là en y ayant réfléchi réellement, elle trouve le meilleur cadre, le rayon de soleil derrière la pluie drue, et réussit à faire passer le point de vue drogué d'un Johnny Depp évidemment radical dans son interprétation d'Hunter S. Thompson. Chacun des autres personnages est aussi savoureux, de Sanderson, froidement salaud, à Chenault, merveilleusement attirante sans être pute, en passant évidemment par Bob, ou Moburg, paumés, désabusés...


Il n'est pas simple de résumer un tel film. Je ne pourrais vous conseiller d'aller le voir, le scénario est clairement mauvais. Mais ces images, cette ambiance, sont absolument à découvrir.


Rhum Express
de Bruce Robinson
avec: Johnny Depp, Aaron Eckhart, Amber Heard,...
sortie française: 30 novembre 2011

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