Friday, January 28, 2011

Au-delà, de Clint Eastwood

Marie, française, brillante journaliste de télévision, échappe de peu à la mort; Jason, le frère jumeau de Marcus, n'a pas cette chance, et rend l'âme sous les roues d'une voiture à Londres; la première a juste entrevu le monde où le second erre, incapable d'abandonner son frère, le plus faible des deux, seul au monde. George, américain, est médium, et connait les réponses aux questions que se posent Marie et Marcus. Mais il a abandonné sa profession, ainsi que tout espoir de mener une vie normale, incapable de toucher la moindre personne sans avoir des visions de l'au-delà et de ressentir toutes les peines de la personne touchée, abandonnée par un proche.


Clint Eastwood est un acteur et un réalisateur que j'adore, malgré son air revêche, et une filmographie toute pleine de personnages qui se ressemblent, faibles en apparence, fort dans le fond, ou vice-versa, mais en général parfaitement incompris, et seuls. Certains de ses derniers films me sont passés tout à fait à côté, comme L'échange, ou Lettres d'Iwo Jima - que j'aurais dû aller voir au cinéma, pas eu le temps, plus l'envie à présent. D'autres me touchent plus, quoiqu'ils témoignent d'une certaine fragilité, du réalisateur, comme Invictus, ou Gran Torino. J'ai entendu mes collègues de travail huer ce dernier film, j'ai lu les critiques le descendre. Peu importe, cet Au-delà m'attirait, et je me suis retrouvée dans la salle de cinéma, avec en mon for-intérieur un "vas-y Clint!" d'encouragement - on s'appelle par nos prénoms et on se tutoie, Clint et moi.


Bien entendu, j'aurais dû écouter les autres. Clint Eastwood rate son sujet, et se traîne, pendant deux heures, une mise en scène qui devient presque trop classique, au service d'une histoire dont il n'a pas retenu les rênes. On ne sait pas si le réalisateur décide de faire un film sur la vie après la mort, ce qui, étant donné ses principes religieux - il ne se déclare d'aucun culte, mais montre un intérêt très fort pour les principes chrétiens - serait probablement contestable, ou si, comme je l'espère, il souhaitait se donner le prétexte d'explorer la solitude, encore une fois, et montrer une éventuelle lueur espoir. L'idée d'un film étant plutôt de raconter une histoire, et la sienne ayant comme but avoué de se faire rencontrer les êtres, Marie, le petit Marcus, et George, venus de trois continents différents, Clint Eastwood aurait pu se débarrasser un peu plus rapidement de son excuse du monde des morts. On aurait voulu se concentrer plus vers la convergence de ceux qui restent en vie; malheureusement, ce moment d'apothéose arrive avec médiocrité, mal préparé, à la fin du film, de manière trop brève.


Avant cela, il n'y a que la solitude de trois personnes, et un néant toujours plus grand, autant dans la salle que sur l'écran. Les premières images sont plutôt rapides, et efficaces; en deux mots, Marie est talentueuse, jolie, couche avec un type de son boulot, victime d'un tsunami bien géré par de superbes effets spéciaux - mais qui ne vaut pas une nomination aux Oscars non plus -, meurt, et revit. Il faut plus de temps pour raconter la vie de deux gamins à Londres, leur mère alcoolique et leur amour inconditionnel, le mutisme du timide Marcus et la gouaille de Jason, qui décède brusquement. Le passé de George s'étale un peu tout du long du film, entre un frère qui ne s'embarrasse pas de sentiments et une vie médiocre, ouvrier sur un chantier, seul. Il faut une heure et trente minutes à Clint Eastwood pour ressasser ensuite les mêmes images de trois personnages séparés par des océans, des villes différentes, des destins a priori bien éloignés les uns des autres. Classique, la mise en scène l'est à l'excès. Alors que la langue, la couleur de trois villes et de trois continents est évidentes, il n'oublie jamais un plan d'ouverture sur la tour Eiffel, Big Ben, ou le port de San Francisco, et termine systématiquement sa séquence par des indices de l'isolement de ses personnages. George écoute la radio, seul dans sa chambre, Marcus regarde le lit vide de son frère, quant à Marie... Elle vit probablement la pire rupture qu'autorise le cinéma, et les rejets les plus désagréables.


Dans ces moments-là, le travail du son est particulièrement hideux. Dans les foules, comme pour mieux signaler la solitude du personnage, de petites phrases sont insidieusement glissées. Elles font partie de l'atmosphère, de l'ambiance donnée par le monteur son, mais semblent absurdes, mises en évidence par le passage d'une langue à l'autre. Tendez l'oreille dans ces moments, au restaurant, au bureau de Marie, pour saisir ces agaçants détails qui sont trop lourdement présents en arrière-plan. Par contre, côté musique, Clint Eastwood est merveilleusement parcimonieux, et ça, c'est bien.


Mais enfin, ça ne fait pas tout. Après s'être copieusement trompé de sujet pendant tout ce temps, voilà enfin nos personnages qui vont se rencontrer. Les ficelles sont grossières, soudainement nouées et Clint Eastwood débarrasse Marie, George et Marcus de leurs doutes en un tour de main pour signer ensuite de son nom au générique. Comme si, finalement, il avait bien décidé de faire un film sur la vie après la mort, et pas sur l'avenir de ceux qu'il abandonne là.


Je retiendrai deux scènes de ce film: d'abord, celle, désolante, de la rupture de Marie avec son amant, caricatural - l'amant - et tournée comme un psychodrame de fiction télé - la scène; il y a aussi, un beau moment, peut-être le seul, avec George qui mange ses pâtes sur sa toute petite table de cuisine. C'est ce Clint Eastwood là que j'aime, celui qui montre un type seul, frustré, incapable d'en parler, dans une lumière froide. Allez Clint, je compte sur toi, au boulot.


Au-delà
de Clint Eastwood
avec Matt Damon, Cécile de France, George McLaren,...
sortie française: 19 janvier 2011

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