Thursday, March 5, 2009

Fiction et non-fiction

De Clint Eastwood, j'étais également curieuse de découvrir Changeling/L'échange, son avant-dernier film à ce jour. Angelina Jolie, dans la bande-annonce, hurlant qu'elle "wanted her son back" sur tous les tons, avec toutes les trémolos du drame dans la voix, les yeux prêts à déborder de larmes, n'avait pas réussi à me convaincre de me déplacer au cinéma. C'est donc sur le petit écran que j'ai découvert ce film, et je n'ai pas été surprise, ni déçue ni emballée, comme je m'y attendais. Je n'ai pas spécialement envie de m'étendre sur pourquoi comment je n'ai pas réussi à éprouver de la peine pour les personnages, ni me justifier en ce sens. ll se trouve simplement que, ayant discuté du film avec des amis, j'ai éprouvé un drôle de sentiment lorsque la réflexion bouleversée "et dire que c'est une histoire vraie!" a été émise.


En effet, il est assez étrange que les gens se sentent plus touchés lorsqu'ils reconnaissent la vérité dans une fiction. L'histoire n'a pas pu arriver au conditionnel, mais elle s'est réellement passée, et par là, aurait pu arriver à notre voisin, à nos amis, à notre famille, voire à nous-même. Alors, forcément, on se sent concerné, on est abasourdi, on compatit énormément, on s'identifie entièrement.


Emmanuel Carrère raconte dans un article de Libération paru hier, qu'il aurait sans doute été pris pour un con (transcription de mon cru) par son éditeur, si il lui avait déclaré vouloir écrire sur un type qui aurait menti des années à sa famille avant de tuer tout le monde par peur d'être démasqué. Le scénario, invraisemblable, s'étant réalisé par le passé, est accepté. Et voici qu'un être de chair prend vie et s'éternise sur le papier, pour devenir un personnage.


Certes, beaucoup de romans, de scénarios de films, découlent de faits divers. Néanmoins, la fiction qui en découle ne prend ces brèves que pour base; c'est un autre cap qui est franchi lorsqu'on romance la vie publique et aussi privée, de bout en bout, d'un individu réel.


Dans un roman que j'ai lu, Fondation, de Isaac Asimov pour ne pas le citer, une jeune fille décide de devenir romancière pour raconter la vie de sa grand-mère, qui a joué un rôle déterminant dans l'Histoire de l'univers. Pourquoi cette jeune fille ne décide-t-elle pas d'être historienne alors, plutôt qu'écrivain? Peu importe, le fait (totalement fictionnel) est qu'elle réalise sa destinée, et écrit un grand roman qui relate les aventures de sa grand-mère. Ce livre aide ce personnage historique à perdurer dans le temps; mais dans les mémoires, les générations se souviennent alors de la grand-mère d'Arkady comme d'un personnage de fiction, et quasiment plus comme un être ayant réellement existé.


Au contraire, les Japonais ont inscrit le conte de la déesse du soleil, Amaterasu, dans leurs livres d'Histoire. Les petits Japonais apprennent donc avec grand sérieux que leurs empereurs descendent de la déesse du soleil.


J'en arrive à conclure: n'est-ce pas dangereux de réduire des personnes qui ont été vivantes à de simples personnages de papier ou de pellicule? Ne risque-t-on pas de les effacer des livres d'Histoire puisqu'ils ont leur place dans des romans? Marie-Antoinette, par exemple, adorée des écrivains et des cinéastes, n'est-elle pas en train de tourner au ridicule (depuis le film de Sofia Coppola notamment); n'est-on pas en train d'oublier la reine pour ne garder en mémoire qu'une jeune écervelée? C'est peut-être le rôle des écrivains et des historiens uniquement que de raconter objectivement la vie des êtres humains; et celui des romanciers est d'inventer des histoires nouvelles.


p.s.: le titre, fiction et non-fiction, est tout au crédit d'A. Lévy-Willard, journaliste à Libération.

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