Eva est haïe par les habitants de la petite ville dans laquelle elle vit; sa maison est arrosée de peinture, une femme la gifle dans la rue. Mais, culpabilisant, elle encaisse, tente d'avancer en automate, se sent presque privilégiée qu'on accepte de lui offrir un job sans qualification dans une petite agence de voyage glauque. Comment en est-elle arrivée là? Dix-huit années plus tôt, amoureuse, elle a pris la décision, avec Franklin, d'avoir un enfant. Kevin est né, et les conflits ont débuté.
Ce mercredi 28 septembre, il y avait plusieurs films qui prenaient la maternité à contrepied à l'affiche; je ne suis pas certaine qu'Un heureux évènement, de Rémi Bezançon, avec une bonhomie toute franchouillarde, possède la même force de frappe que le film de Lynne Ramsay. C'est seulement le deuxième film de la réalisatrice britannique; le troisième long-métrage pour Rémi Bezançon. La première, après neuf années, revient avec une maturité extraordinaire, alors que le second courbe déjà l'échine pour se faire aux contraintes du public et de la production rentable. Je suis probablement mauvaise langue, je n'ai même pas vu Un heureux évènement. C'est comme ça, j'aime bien cracher sur des films à pseudo controverse, surtout lorsqu'ils sont français - rien de plus stéréotypé qu'un "blockbuster" français -, alors que, dans le même temps, un film fait discrètement plus de bruit.
Après avoir bien lancé la polémique - défendez donc Rémi Bezançon! -, je reviens à We need to talk about Kevin. La qualité du film vient tout d'abord de la présence de Tilda Swinton à l'écran. Si le film débute au présent, on est aussi en permanence plongé dans ses souvenirs, ceux d'Eva, rayonnante, les cheveux longs, jouissant de tout, jeune et amoureuse; Eva enceinte, ébahie par ce gros ventre et par une population de mamans en devenir, épanouies; Eva-mère, rangée, dépassée mais tentant d'être compréhensive et aimante, avec un tout petit être qui la rejette entièrement; Eva fatiguée, les cheveux courts, ressemblant à son fils qui grandit, Eva qui baisse les bras et se résigne à la campagne, aux habitudes, à sa vie et à son foyer. Tous ces visages, Tilda Swinton les prend tour à tour, heureuse, triste, abandonnée.
Evidemment, le saut d'une Eva à l'autre ne tient pas seulement au talent de Tilda Swinton, mais également à une mise en scène en flash-backs pertinente. Ces retours dans le passé sont faits via le regard de l'Eva d'aujourd'hui, celle qui, chaque semaine, rend visite à son fils en prison et reste face à lui dans la douleur, et sans parler. L'Eva d'hier est telle que la voit l'Eva d'aujourd'hui, et ses rapports amoureux avec Franklin, conflictuels avec Kevin, ne sont peut-être pas décrits tels qu'ils étaient réellement. La très jeune Eva, amoureuse, est dans un flou agrémenté de sons indistincts; lointaine, presque oubliée. La mère Eva évolue dans un univers structuré, un décor rêvé, aux lignes droites pleins d'espaces clairs. Et l'Eva d'aujourd'hui sombre dans un appartement en désordre, et erre dans des rues grises. Ces différences et la manière qu'à Lynne Ramsay d'emmener son spectateur d'une époque à une autre sont bien loin des habituels flash-backs nostalgiques en noir et blanc et ouatés. Chaque séquence introduit lentement l'acte irréparable qui mènera Kevin en prison, et Eva à la vie qu'elle mène.
La question de la culpabilité maternelle est au centre des préoccupations de We need to talk about Kevin. Eva fait un enfant jeune, comme une preuve d'amour à Franklin. Qu'en est-il de son réel désir d'enfant? A quelle pression sociale a-t-elle cédée, inconsciemment, pour suivre ce chemin tout tracé qu'elle n'aurait jamais imaginé prendre, celui d'une femme au foyer, abandonnant ses rêves d'aventures, abandonnant la grande ville de New York, laissant le désir s'éteindre, et les cacas d'enfant prendre le dessus? Un certain âge, un certain nombre d'années de bonheur, ont semble-t-il eu raison de ses rêves. Le film ne cède pas à la facilité de rejeter la faute sur "la société", qui souhaite ce genre de vie pour les femmes, encore aujourd'hui, et s'attend à les voir heureuses en retour... Car Eva culpabilise, finalement, et pendant dix-huit ans, d'avoir pris la mauvaise décision; et s'applique dès sa grossesse à se punir, à s'obliger à être aimante, souriante, patiente, tout ce qu'au fond d'elle-même elle ne ressent pas. Peut-être est-ce bien elle qui a poussé son propre fils à la faute, en lui transmettant cette haine d'elle-même. Eva et Kevin adolescent se ressemblent étrangement, physiquement et dans la force qu'ils transmettent, sous une apparence de calme absolu. Terriblement semblables, la mère a forcément influencé l'enfant...
Est-ce pour autant une raison pour qu'Eva se flagelle aussi longtemps? La majorité de Kevin doit être atteinte, pour que chacun se libère du joug de l'autre. Le message est grandiose, on ne sait plus sur qui jeter la pierre; la fin du film est aussi énigmatique, entre soulagement et douleur. Notez aussi que la bande-originale du film est très agréable, aussi pointue dans ses classiques américains que la mise en scène est subtile.
Evidemment, le saut d'une Eva à l'autre ne tient pas seulement au talent de Tilda Swinton, mais également à une mise en scène en flash-backs pertinente. Ces retours dans le passé sont faits via le regard de l'Eva d'aujourd'hui, celle qui, chaque semaine, rend visite à son fils en prison et reste face à lui dans la douleur, et sans parler. L'Eva d'hier est telle que la voit l'Eva d'aujourd'hui, et ses rapports amoureux avec Franklin, conflictuels avec Kevin, ne sont peut-être pas décrits tels qu'ils étaient réellement. La très jeune Eva, amoureuse, est dans un flou agrémenté de sons indistincts; lointaine, presque oubliée. La mère Eva évolue dans un univers structuré, un décor rêvé, aux lignes droites pleins d'espaces clairs. Et l'Eva d'aujourd'hui sombre dans un appartement en désordre, et erre dans des rues grises. Ces différences et la manière qu'à Lynne Ramsay d'emmener son spectateur d'une époque à une autre sont bien loin des habituels flash-backs nostalgiques en noir et blanc et ouatés. Chaque séquence introduit lentement l'acte irréparable qui mènera Kevin en prison, et Eva à la vie qu'elle mène.
La question de la culpabilité maternelle est au centre des préoccupations de We need to talk about Kevin. Eva fait un enfant jeune, comme une preuve d'amour à Franklin. Qu'en est-il de son réel désir d'enfant? A quelle pression sociale a-t-elle cédée, inconsciemment, pour suivre ce chemin tout tracé qu'elle n'aurait jamais imaginé prendre, celui d'une femme au foyer, abandonnant ses rêves d'aventures, abandonnant la grande ville de New York, laissant le désir s'éteindre, et les cacas d'enfant prendre le dessus? Un certain âge, un certain nombre d'années de bonheur, ont semble-t-il eu raison de ses rêves. Le film ne cède pas à la facilité de rejeter la faute sur "la société", qui souhaite ce genre de vie pour les femmes, encore aujourd'hui, et s'attend à les voir heureuses en retour... Car Eva culpabilise, finalement, et pendant dix-huit ans, d'avoir pris la mauvaise décision; et s'applique dès sa grossesse à se punir, à s'obliger à être aimante, souriante, patiente, tout ce qu'au fond d'elle-même elle ne ressent pas. Peut-être est-ce bien elle qui a poussé son propre fils à la faute, en lui transmettant cette haine d'elle-même. Eva et Kevin adolescent se ressemblent étrangement, physiquement et dans la force qu'ils transmettent, sous une apparence de calme absolu. Terriblement semblables, la mère a forcément influencé l'enfant...
Est-ce pour autant une raison pour qu'Eva se flagelle aussi longtemps? La majorité de Kevin doit être atteinte, pour que chacun se libère du joug de l'autre. Le message est grandiose, on ne sait plus sur qui jeter la pierre; la fin du film est aussi énigmatique, entre soulagement et douleur. Notez aussi que la bande-originale du film est très agréable, aussi pointue dans ses classiques américains que la mise en scène est subtile.
We need to talk about Kevin
de Lynne Ramsay
avec: Tilda Swinton, Ezra Miller, John C. Reilly,...
sortie française: 28 septembre 2011
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