Tuesday, April 10, 2012

Aloïs Nebel, de Tomas Lunak

Aloïs Nebel est chef de gare dans une petite station de la République socialiste tchécoslovaque. Un jour, un étrange personnage passe la frontière toute proche et revient dans cette ville qui apparemment l'a marqué. Les souvenirs d'enfant d'Aloïs Nebel se réveillent alors et rendent cet homme taciturne un peu fou. Enfermé un temps dans un asile, Aloïs Nebel revient à sa gare pour trouver sa place prise, et se retrouve alors sans abri dans la grande gare de Prague. Il partage alors le quotidien de clochards errant là comme lui, rencontre une femme, et tente d'oublier les vieux démons qui avaient resurgis.


 En 1989, l'ex-Tchécoslovaquie vit sa Révolution de velours. Le parti communiste au pouvoir, et la République socialiste tchécoslovaque tirent leur révérence pour laisser la place à la République fédérale Tchèque et Slovaque. La chute du mur de Berlin a également tiré des cris de joie à Prague, et la population est fébrile. Aloïs Nebel,  à Bily Potok, ou à Prague où il échoue et erre dans la grande gare centrale, ne voit pas grand chose de ces changements et n'en a que quelques échos. Cependant, le contexte dans lequel il voit ses souvenirs ressurgir est essentiel. Certaines informations arrivent au spectateur, par l'intermédiaire de danses spontanées dans la rue, par le son lointain d'une radio; mais les sous-titres du film ne retranscrivent que peu ces grands changements historiques, et mieux vaut en être a priori averti pour distinguer l'ambiance révolutionnaire qui traverse Prague et la République socialiste tchécoslovaque toute entière. 


De la même manière, de ce côté-ci de l'Europe, on est peu au courant de la grande part de population allemande installée dans bon nombre de pays de l'Est, et qui commença à être réprimée dès les années 20, puis peu à peu expulsée. Cette répression des Allemands, présente également en République socialiste tchécoslovaque, atteignit son paroxysme à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Les images qui hantent Aloïs Nebel sont celles de ces expulsions musclées, qui firent monter à l'aide de pistolets les Allemands dans des trains pour les renvoyer dans leur pays. Les Allemands prenaient pas mal de place en République socialiste tchécoslovaque, représentant environ 70% de la population totale.. Autant dire qu'à leur départ, le pays fut certainement vidé de son essence.


Voilà pour quelques repères historiques, de 1945 à 1989, indispensables à la bonne compréhension du film. Je n'ai fait ces recherches qu'après coup, agacée par mon incapacité à saisir les détails du film lors de son visionnage. Aloïs Nebel est écrit et fabriqué pour un public très restreint et très au fait; sans être adepte des productions tout public, j'aurais apprécié qu'on pense légèrement plus, en produisant ce film, au public étranger à l'histoire de l'ex-Tchécoslovaquie, et donc à une possible exportation au-delà des frontières tchèques. Ce n'est pas parce que le film n'est distribué que dans deux salles à Paris que le public n'est constitué que d'initiés, de connaisseurs, d'historiens! Sans avoir les repères historiques listés dans le paragraphe ci-dessus, il est impossible d'être touché par l'histoire d'Aloïs Nebel. 


Comment comprendre ses vieux démons, comment supposer qu'ils ressurgissent avec l'arrivée soudaine d'un étranger, de retour sur une terre qu'il a connue, avant? Car l'homme traqué qui fuit dans les bois, en séquence d'ouverture du film, est sans doute un Allemand, qui retraverse la frontière, à la recherche de son passé en République socialiste tchécoslovaque. Mais l'homme est muet, et ne dit pas un mot de bout en bout du film. On ne devinera de lui que son attachement à Bily Potok, où ses pas le ramènent. Il apparaît dès les premières images, puis disparaît ensuite; ne vient que pour réveiller les souvenirs d'Aloïs Nebel. Cette malheureuse construction du scénario perd le spectateur; d'abord enclin à éprouver de la sympathie pour cet homme mystérieux, en fuite, poursuivi par les chiens, il doit ensuite reporter sa sympathie sur un autre personnage, tout aussi taciturne, Aloïs Nebel.


Le chef de gare surgit de nulle part, et ne semble d'abord pas avoir la carrure d'un premier rôle. Il est avare de ses mots, contrairement à un collègue gouailleur, magouilleur, maniganceur. Il cache son visage sous d'épaisses montures de lunettes, une casquette, une barbe. Malgré son nom qui donne le titre au film, on ne s'attend pas vraiment à devoir lui porter son attention; on attend le retour du muet, qui ne réapparaît pas. Alors, finalement, on revient à Aloïs Nebel, mais on a déjà loupé une bonne partie des détails qui nous le décrivent. Arrivent ensuite ses flashs de souvenirs; annoncés par un tremblement de la caméra, par le bruit et la furie des rails sous les roues d'un train au galop, une vive lumière... L'expulsion des Allemands, sur le quai de Bily Potok, a marqué l'esprit d'Aloïs Nebel enfant. Il a vu un homme abattu, une femme soumise. Mais voilà, comment distinguer les Allemands des Tchèques, les barbares des opprimés, sans aucune indication autre que la date, 1945? Comme je le disais plus tôt, il faut savoir que ces expulsions ont eu lieu, et dans quel état elles ont laissé le pays, vidé. 


Seulement alors on peut comprendre la solitude d'Aloïs Nebel, sa tristesse sans mots, la peine commune qui le relie à une femme rencontrée à Prague dans la grande gare centrale. La seule image, en rotoscopie, en noir et blanc, du film, ne suffit pas, malgré sa belle construction graphique. En noir et blanc et niveaux de gris, entre l'image d'A scanner darkly, réalisé avec la même technique de rotoscopie, et de Renaissance, dans un noir et blanc tranché et sans nuance, Aloïs Nebel montre une superbe technicité. Les arbres se découpent sur le ciel, plongent Bily Potok au milieu de nulle part, sur une terre triste et morne; isolent les maisons et les hommes qui y vivent dans le silence et au milieu des éléments plus déchaînés qu'eux. Éteints, les personnages, sinistres, les décors; l'ambiance du film est celle d'un pays triste, qui porte en lui les traces d'un passé destructeur. Mais la forêt ne parle pas, n'explique rien, et si cette image est jolie, elle n'éclaire pas l'histoire d'Aloïs Nebel.


L'animation quant à elle, est plus bancale. Le principe de la rotoscopie, qui est de filmer l'action, avant de la passer à la moulinette de l'animation, donne de la vérité aux mouvements. Mais les ombres toujours mouvantes, trop fluides, sont trompeuses: l'action, elle, a peu de relief. Les regards et les pupilles sont flous, et les personnages ne sont pas certains de ce qu'ils regardent. Le rythme global du film est plus à l'image de cette animation mollassonne, que tranchée comme les branches des arbres sur le ciel orageux. On s'endort, bercé par ces mouvements trop lents, et une histoire qui avance trop lentement, dans le flou de plus est.


Aloïs Nebel
de Tomas Lunak
avec: Miroslav Krobot, Marie Ludvikova, Karel Roden,...
sortie française: 14 mars 2012

3 comments:

Mingou said...

Je suis allée voir ce film par curiosité, mais le rythme hyper lent de l'intrigue m'a endormie (au sens propre). Je pense aussi qu'un peu de pédagogie n'aurait pas fait de mal. C'est dommage, car il s'en dégage tout de même quelque chose sur le plan esthétique.

Fanny B. said...

Paf, pourquoi je m'embête à écrire des pavés, hein? En trois lignes, tu condenses parfaitement ma pensée... Esthétiquement, les décors sont clairement superbes, mais les personnages pas bien charismatiques.

Mingou said...

Non, non, ne change rien. J'aime bien tes analyses détaillées justement.
(mais c'est vrai que j'étais une championne des résumés de textes pendant mes études :-))