Tuesday, April 3, 2012

La terre outragée, de Michale Boganim

En avril 1986, à Pripiat, à 3 kilomètres de la centrale nucléaire qui donne du travail et un revenu à tous les habitants, Anya se marie, et le petit Valery plante un pommier. Depuis la veille cependant, les animaux s'affolent, et les plus faibles meurent; la pluie tombe soudainement et en trombes, les arbres pourrissent. Piotr, alors qu'il danse avec sa jeune épousée, est appelé pour éteindre un feu de foret. Personne n'a le droit d'en parler, et quelques jours plus tard, la ville est évacuée. Cette nuit-là, des ingénieurs ont tenté d'augmenter la puissance de la centrale, et les réacteurs ont explosé. Anya ne reverra plus jamais Piotr, et le père de Valery, ingénieur à la centrale de Tchernobyl, envoie son fils et sa femme au loin, en exil. La radioactivité éteint les espoirs et dix années plus tard, alors qu'Anya perd ses cheveux par poignées, reste sur les lieux du drame pour faire visiter aux touristes sa ville morte. Valery, pour la première fois, revient dans la ville de son enfance, certain que son père, disparu, n'est pas mort.


Le film, scindé en deux parties distinctes, s'attache d'abord a décrire la paisible vie des habitants de Pripiat, avant cet avril 1986. La douceur de vivre dans un printemps ensoleillé, les chants, l'amour et les rires au bord de la rivière, sont ceux de toute la campagne ukrainienne de ces années-là. Le communisme, l'idée de la patrie sont des concepts ancrés en chacun comme les garants d'un avenir rassurant et bienveillant. Le sujet de La terre outragée est bien celle de la catastrophe nucléaire la plus terrible du XXème siècle, mais la réalisatrice tient à parler de cette quiétude avant le rien. L'humain, en lequel Anya comme Valery placent leur confiance absolue, a failli comme jamais ce mois d'avril 1986, mais, avant, ils ne voyaient pas de nuage assombrir leur avenir.


La seconde partie du film concrétise dans les esprits les suites de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. L'explosion laisse une ville de cendres, froide et hivernale, où seuls quelques fous et exclus de la société vivent dans le silence. Le spectateur anticipe cette seconde partie terriblement morne, connaissant la suite et le déroulé des évènements, pressentant le chaos, et cela d'autant plus qu'il prend conscience de la jolie et simple vie des habitants de Pripiat, avant. La désolation et le vide de la ville prennent d'autant plus de puissance, en contraste avec ces jours heureux, lorsque tout était encore possible.


La tristesse pesante d'après l'explosion semble cependant un peu longue, fermée à tout espoir d'avenir. Le silence et le vide résonnent trop, et précipitent le film vers une fin programmée, sans surprise. Anya se heurtera toujours à ses souvenirs, et Valéry errera sans but dans les rues vides de Pripiat. La première ne peut s'offrir, et ne s'offrira jamais totalement à l'oubli, que ce soit à Pripiat ou loin de cette ville maudite; Anya est vouée à la solitude. Valéry, lui, n'a d'autre échappatoire que de s'abandonner aux mains des autorités qui le traquent.


Au-delà de ces deux histoires qui ne se croisent jamais vraiment, c'est toute l'image d'une ville morte qui est dépeinte. Au fil des déambulations touristiques, ou des pas hagards de Valéry, hors des sentiers battus, on croise aussi un garde-forestier qui n'a jamais cessé de cultiver ses pommes empoisonnées, une fermière qui mène toujours sa vache au pré, une enfant qui joue avec les reliques d'une vie plus heureuse, qu'elle n'a sans doute pas connue. Toute une population vit encore là, cachée. Michale Boganim veut montrer autre chose que ce qui est d'ordinaire évoqué, les malformations, les monstres à trois bras ou à deux têtes. Elle montre ceux qui ne sont pas encore morts et vont toujours chanter tristement dans un bar sans enseigne, comme honteux d'exister; qui rebâtissent des maisons, qu'ils sauront envahies par des étrangers rejetés de leur terre d'origine et venus trouver refuge dans ce no-man's land.


La terre outragée n'appartient plus à personne, ni à ceux venus là mitrailler de photos, avec leur condescendance, ni aux réfugiés armés, ni à ceux qui ne peuvent plus reconnaître la terre sur laquelle ils sont nés.



La terre outragée
de Michale Boganim
avec: Olga Kurylenko, Ilya Iosifov, Andrzej Vhyra,...
sortie française: 28 mars 2012

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