Le Caire, de nos jours. Hebba anime une émission politique plutôt appréciée. La jeune femme, issue d'un milieu aisé, n'a jamais porté le voile. Son second mari, Karim, et elle, vivent dans un bel appartement équipé avec les dernières technologies, et elle n'a jamais manqué d'argent. Cultivée, c'est une femme libre et qui le revendique. Pourtant, lorsque la promotion de Karim, journaliste au sein du quotidien national, est compromise par les propos de sa femme, Hebba accepte, pour un temps, d'aborder des sujets plus légers lors de son émission. Elle s'arrête sur des faits divers féminins et accueille des femmes de tous horizons pour écouter leurs histoires. Trois portraits, puis un quatrième, celui d'Hebba, se dessinent; en faisant parler les autres, Hebba tisse aussi son propre canevas.
Un long générique précède le film, magnifique enchevêtrement de fruits et de légumes coupés, présentés et dans lesquels des fourchettes semblent vouloir faire de profondes entailles. Ce début place le spectateur dans les couleurs d'un pays du sud, dans la chaleur qui va suivre. Peut-être aussi, ironiquement, rappelle-t-il la place de la femme dans la société moderne du Caire... à la cuisine. S'ensuit un long plan-séquence dans un appartement richement meublé, où pourtant chaque appareil électronique semble défaillir, poussant des cris tonitruants. Le cauchemar dont se réveille Hebba en sursaut tranche curieusement avec sa vie heureuse. Hebba est riche, célèbre, et amoureuse. Pourquoi dort-elle mal la nuit, elle qui est protégée de la misogynie ambiante? Un manque évident, devant lequel la place sans le vouloir son mari, lui fera comprendre ce rêve. Hebba est une femme libre; mais elle accepte de se plier, à la demande de l'homme qu'elle aime, et qui tient à sa carrière - bâtie en partie sur les relations qu'il a su nouer.
Pour trouver les faits divers, suffisamment légers, qui feront les sujets de ses émissions, sans troubler l'ordre public, Hebba descend dans la rue jusque sous terre, au milieu des femmes voilées et de la pauvreté, dans les rues poussiéreuses. De retour sur son plateau, les femmes rencontrées se racontent. Elles ont comme solution, pour mener une vie heureuse, d'avoir un bon mari. L'une d'elle a décidé de ne jamais s'offrir qu'à l'amour, et termine ses jours dans un hôpital psychiatrique, vierge, ayant toujours refusé ses prétendants, qui la désiraient autant qu'ils désiraient un objet présentant bien en société, et le reste du temps soumise à la maison. La seconde vit avec celle qui a gardé la porte de sa prison pendant quinze ans; quinze années dont elle a écopé pour avoir tué celui qui abusait d'elle et de ses deux sœurs depuis la mort de leur père, promettant en secret le mariage à chacune. La dernière, issue d'un milieu social élevé, avait cependant été abusée par un ministre. Il s'était assuré une bonne dot, n'avait pas été jusqu'au mariage officiel une fois sa future femme déflorée et enceinte. Hebba tombe de haut; ce qu'elle pensait être de jolies histoires d'amour finissant mal, se révèlent être des sujets politiques visant à dénoncer une oppression phallocentrique.
On pénètre totalement dans les histoires des invitées d'Hebba, autant que l'on suit la vie de la protagoniste principale. Entièrement, complètement, leurs vies et leurs désillusions sont exposées. Et par leurs voix, c'est un pays entier qui est dénoncé, avec les hommes qui le dirige. Plein d'espoir cependant, le film se montre plein d'humour et optimiste, tout en bousculant le spectateur, sidéré par cette oppression subie par les femmes du Caire. Combien peuvent se rebeller et, comme Hebba, se permettre de les dénoncer? Le réalisateur se rapproche certainement de son personnage dans cette optique, profitant de sa notoriété pour faire passer son message.
Il ne peint néanmoins pas un portrait tout noir de son pays. Les maisons sombres, les rues pleines de poussière, les décharges, ne sont pas départis de charme. J'ai beau ne pas être adepte de ses cadres toujours pleins, composés de manière trop évidente, suivant chaque mouvement des personnages sans minimalisme, jouant des reflets, cette réalisation est à l'image d'une culture exubérante et expressive. Les corps s'emmêlent, dans les coups et dans l'amour physique, comme une bataille organisée ou une danse étrange. Il y en a trop, parfois, et on se met à désirer un peu de simplicité et de vide. La forme du récit, à la fois aussi trop simple - les histoires débutent toujours en voix off, sur le plateau de l'émission, et basculent ensuite simplement dans le récit, pour revenir à Hebba -, est également surchargée.
Par son propos, le film marque les esprits. Malheureusement, se voulant trop proche du fait divers, exprimant la banalité de ces derniers, l'image s'égare et ne répercute pas la force de son message.
Femmes du Caire
de Yousry Nasrallah
avec Mona Zaki, Mahmoud Hemida, Hassan El Raddad,...
sortie française: 5 mai 2010
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