Friday, May 18, 2012

De rouille et d'os, de Jacques Audiard

Ali fuit le nord de la France, sans argent, avec son fils, Sam, sur le dos. Il arrive dans le sud, et s'installe chez sa sœur. Elle est caissière dans un supermarché, son mari est chauffeur routier à son compte, et ils joignent les deux bouts en cumulant les extras, mais accueillent Ali et Sam sans leur poser de questions. Ali, avec son physique de boxeur, trouve à travailler comme vigile ou gardien de nuit. Il croise alors Stéphanie, dont le physique superbe démarre une bagarre dans la boîte de nuit où il travaille alors. Stéphanie est belle, sûre d'elle et de sa vie, et n'a pas besoin d'Ali. Trop différents, leurs chemins ne font que se croiser. Et puis Stéphanie perd ses deux jambes dans un accident au parc d'attraction aquatique où elle dirige des spectacles d'orques. Retrouvant le numéro d'Ali, elle l'appelle. Cette nouvelle rencontre est le début d'une amitié et d'une histoire d'amour.


Il n'est pas désagréable d'être au diapason avec le Festival de Cannes. La moitié de ma timeline Twitter s'y trouve, et je ne lis même plus leurs private jokes, leurs coupes de champagnes et leurs points de vue sur Bill Murray. Mon Festival à moi est dans trois semaines maintenant! Bon, n'empêche qu'on peut découvrir quelques films en même temps que la croisette, et notamment ce Jacques Audiard qu'on attend depuis trois années, depuis Le prophète et son Grand Prix. Alors, Palme d'Or pour De rouille et d'os? Je n'oserais pas pronostiquer quoique ce soit, étant donné que je ne verrai pas toute la sélection, mais on peut déjà voir quelques Palmes se diriger vers Audiard et son équipe.


De rouille et d'os est d'abord un film d'un rythme terriblement juste. Du coup, j'ai été parcourir rapidement le CV de Juliette Welfing, monteuse de Jacques Audiard depuis 1994... impressionnant. De rouille et d'os démarre sans bruit, avec une fuite fatiguée d'un père perdu et d'un fils trop jeune pour se rendre compte. En silence, sans courir, ces deux-là s'échappent néanmoins. En deux ou trois scènes, les personnages sont présentés. Et Ali rencontre Stéphanie. Puis Stéphanie perd ses jambes, le drame arrive, les nœuds sont déjà noués et prêts à être resserrés dans la suite. En trente minutes, voilà l'intrigue du film solidement bâtie.


Ensuite, Stéphanie et Ali prennent les rênes. On avait déjà découvert la force brute de Matthias Schoenaerts dans Bullhead. Elle se dévoile de nouveau dans De rouille et d'os, plus contenue, canalisée dans des combats de boxe où l'adrénaline, soudain, reprend ses droits sur ce corps musculeux et puissant et le dirige tout droit dans le sang. En dehors de cela, Ali ne perd que peu son sang-froid. Sans être un débile complet, dans la tradition de la bête sans cervelle, Ali reste un personnage direct, spontané, qui jouit de tout avant d'y penser. Il suit son bonhomme de chemin avec simplicité, en profitant de chaque chose sans chercher les conséquences. Cela lui jouera des tours, évidemment. Mais Stéphanie a beaucoup à apprendre de lui. Malgré sa réussite apparente, et sa vie plus rangée, elle n'a pas exactement la clé du bonheur.


Marion Cotillard agace ou emballe. Je suis plutôt dans le premier groupe, de ceux qu'elle énerve par ses manières et je ne comprends pas ce Michael Mann, Christopher Nolan, Steven Soderbergh, Woody Allen, etc, peuvent lui trouver - et d'ailleurs, cette liste ne contient pas que des bons films malgré les grands noms du cinéma américain actuel. Jacques Audiard sait montrer ses qualités. Elle est d'une belle sobriété, parle sans s'emporter, et c'est avant tout son corps mutilé qui parle. L'émotion survient avec ses gestes quand on ne l'attend pas. Marion Cotillard joue une Stéphanie manipulée comme une poupée, toute cassée, et montre sous ces fêlures une force toute féminine qui la raccroche, tant bien que mal, à la vie.


Les deux personnages, l'un avec sa simplicité sans pudeur, l'autre avec ses ramifications complexes, sont parfaitement complémentaires et se soutiennent. Ali apprend à Stéphanie à déconstruire son petit monde de perfection; Stéphanie injecte dans la vie d'Ali de la stabilité, alors qu'elle même est bancale sur ses jambes raccourcies. Vous vous souvenez du succès d'Intouchables, d'Eric Toledano et d'Olivier Nakache? Voilà encore un film qui parle du handicap sans prendre de pincettes, et avec un vrai désir de cinématographie - pas qu'Intouchables ne soit pas rangé dans la case cinéma, mais bon, côté mise en scène, ça ne cassait pas trois pattes à un canard, il faut bien le reconnaître.


Que ce soit le choc de l'eau ou celui des poings, des corps, en discothèque, sur un ring, dans la rue, celui raccourci de Stéphanie, femme avant tout, celui musculeux d'Ali, père malgré tout, celui, frêle, de Sam, l'enfant qui joue aussi un rôle primordial pour maintenir tous ces personnages tous ensemble, l'image de De rouille et d'os montre toujours ce qu'il faut dans les bonnes proportions. Le film va au-delà de la simple narration; l'image raconte tout en étant belle, et reste belle sans être figée et en racontant son histoire avant tout. La force des images construit l'intrigue autant que les personnages la racontent en mots et en gestes.


De rouille et d'os, en compétition pour ce Cannes 2012, est donc en bonne voie pour remporter quelques prix. Et c'est en plus un cinéma qui mérite ses lettres de noblesse, sans regarder de haut le public - chose qu'on reproche bien souvent à la sélection du Festival.


De rouille et d'os
de Jacques Audiard
avec: Matthias Schoenaerts, Marion Cotillard, Corinne Masiero,...
sortie française: 17 mai 2012

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