Wednesday, May 2, 2012

Les vieux chats, de Sebastian Silva et Pedro Peirano

Isidora et Enrique sont à la retraite. Malgré quelques soucis dus à leur âge, ils sont paisibles avec leurs chats. Parfois cependant la fille d'Isidora, Rosario, débarque. Alors les pertes de conscience d'Isidora sont à cacher, et sa présence à supporter deux heures durant. Sauf que cette fois-ci, Rosario n'est pas prête à lâcher sa mère. Elle veut obtenir d'elle une signature afin de récupérer son appartement.


Le huis-clos dans cet appartement, où Isidora est proprement coincée, est l'occasion de montrer une relation mère/fille compliquée, tout en parlant surtout du temps qui passe et d'une vieillesse qui s'approche dangereusement de la mort. Isidora, interprétée par une incroyable Belgica Castro, actrice qu'on aura pu voir dans un film de 1973 de Raoul Ruiz, puis seulement plus de trente ans plus tard auprès du même réalisateur pour Dias de campo, est l'image des ravages de l'âge. Son corps entier part en décadence, tiré par le bas et la gravité; celle-ci doit jouer encore plus fort depuis le huitième étage où Isidora vit. Sa hanche ne lui permet pas de s'envoler de cette cage, alors que l'ascenseur est en panne et l'obligerait à prendre les escaliers. Sa vue est toujours bonne et elle se vante de n'avoir jamais porté de lunettes. Cependant, son regard lui joue des tours, tout comme ses oreilles qui hallucinent parfois et lui font perdre les pédales. L'actrice, qu'on a donc peu vu au cinéma, est présente, malgré ses 91 ans, sur les planches des théâtres chiliens, et en pleine forme s'il-vous-plaît.


Il faut voir comme cette perte soudaine de repère se lit dans les yeux de Belgica Castro! Elle n'est pas qu'un corps fatigué qui incarne Isidora, mais elle joue également avec force la fatigue et l'abandon de son sens commun. Face à tant de fragilité, Rosario, sa fille, explose de brutalité, de rancœur. Transparente dans ses intentions, jouant faussement la douceur - peu de temps, rattrapée par l'énervement d'être là auprès de sa mère, et par la coke qu'elle sniffe en quantité -, elle met presque en valeur le verre fragile d'Isidora. La mère n'est pas non plus une pauvre petite chose, loin de là; elle a la volonté, l'esprit buté qu'on retrouve dans sa fille. Mais le temps ne lui permet plus de contrer les reproches.


La morale du film est amère, après beaucoup de moments de jolie poésie. Elle parle de renonciation, de la reconnaissance d'un échec. Que deviendra Rosario, mal aimée dans son enfance, devenue plus vieille déjà que seulement femme, avec ses rêves absurdes et sa force masculine? Pour équilibrer le duo formé par Isidora et Rosario, les compagnons de chacune des femmes sont eux délicats, attentifs et protecteurs. Enrique est débordant d'amour pour cette femme affaissée dont il n'a pas eu d'enfant; Beatriz, qui se fait appeler Hugo, dégage la même brutalité que Rosario, mais avec bien plus de candeur et gentillesse. Sa force est toute consacrée à une joie innocente. On reste donc concentré sur la relation d'une mère et de sa fille, sans être parasité par les éléments extérieurs, qui restent neutres.


Pour un peu que vous ayez des parents, des grands-parents, que vous vieillissiez, que vous voyiez vieillir autour de vous les autres - vous êtes forcément dans l'un de ces cas au moins -, vous serez touchés par l'image de l'âge qui se dessine d'une femme à l'autre.


Les vieux chats
de Sebastian Silva et Pedro Peirano
avec: Belgica Castro, Claudia Celedon, Alejandro Sieveking,...
sortie française: 25 avril 2012

2 comments:

Sebastian said...

Vous ne seriez pas, par hasard, aller voir ce film à l'arlequin?

Fanny B. said...

Tout à fait! Il n'est pas distribué dans énormément de salles... S'y serait-on croisé?