Le générique le précise, c'est d'un conte qu'il s'agit. La vie et l'œuvre de Serge Gainsbourg, certes, mais par les yeux et les ressentis de Joann Sfar. Abandonnez donc l'idée de voir un documentaire exhaustif sur les frasques du chanteur. Le réalisateur s'attarde sur l'enfance de Gainsbourg, et sur son génie créatif, personnalisé par un double, marionnette caricaturale, aux dimensions démesurées, le Mister Hyde de Gainsbourg, Gainsbarre, sa Gueule, qui le dominera sur la fin de sa vie. Il s'arrête sur ses muses, ses relations avec les femmes, ses sources d'inspiration, et son intériorité, ses hésitations intimes.
Un conte en effet, avec ses personnages fantasques, ses décors rêvés, les dessins de Sfar, partout, tout le temps. Gainsbourg commença par dessiner; enfant, il faisait rire ses camarades, et leur offrait ses peintures à l'eau, esquissées sur sur des pages de cours; des femmes nues, qui ne cachaient rien de leur sexe. L'univers qui se crée via ces dessins est signée de Joann Sfar. Le réalisateur est partout. Que ce soit dans les décors, au générique de début, on ne peut que le soutenir; mais lorsqu'il s'exprime par la main de Gainsbourg, on y décèle un melon gros comme la marionnette de Serge enfant, celle qui finira par crever et devenir sa Gueule, grand, maigre et dégingandé.
Si on oublie l'égocentrisme voyant de Joann Sfar, tout le reste est un grand poème. On s'attache au gamin, celui qui justifie l'homme qu'il deviendra. Culottes courtes, oreilles décollées, Serge tient tête à son père qui lui fait répéter ses leçons de piano. Le piano, la musique, à quoi bon? Son père est pianiste la nuit dans les bars, et ne ramène pas beaucoup d'argent à la maison. Le gosse, avec une verve toute gavroche, drague le modèle qui pose à son école montmartroise pour les cours des adultes. Un officier allemand lui fait de l'œil, la guerre est là, présente sur le bras de Serge, avec son étoile jaune. Avec la jeune fille, il chante, assis sur le comptoir, le répertoire grivois de Fréhel. Le spectateur virevolte, emporté par la musique alors que Gainsbourg brûle ses dessins, poussé par son double maléfique dans les bras des femmes qui vont inspirer sa musique.
La longue scène avec Brigitte Bardot retranscrit mal la courte période de leur passion, mais à merveille l'inspiration qu'il puise dans ses formes. Jane Birkin, touchante, l'équilibre, et efface pour un temps la Gueule. Les provocations de Gainsbourg sont toujours là, mais sa femme, ses enfants, les apaisent et le contrôlent. Pour un temps seulement, car la Gueule revient, couvrant d'une nappe rouge sang les toits de Paris... Les évocations poétiques puisées dans les dessins de Joann Sfar sont à l'image des trop-pleins de Gainsbourg, à la fois subtiles et fortes. La lumière qui éclaire toutes ses femmes exagère leur beauté, leur innocence feinte, leurs formes surréalistes. Ce ne sont plus des personnages que l'on voit, mais des créatures, des héros de légende. Les décors eux aussi montrent la démesure d'un esprit d'artiste tourmenté; Gainsbourg, le père, joue avec Lulu et Charlotte au train de fer, lui saoul, elles nageant dans le bonheur; tous auscultent le cadavre de plastique qui expose ses viscères au milieu du salon... Surréaliste.
Gainsbourg finit Gainsbarre, décrépi, fatigué, qui trouve encore un sursaut de bonheur dans les bras de Bambou, mais le film s'achève là assez brusquement, sans grande passion. Le film ne s'épuise néanmoins que comme son personnage principal, dans les toutes dernières minutes seulement. Tout le reste est un tourbillon d'inventivité, soutenu par des comédiens hors normes, à commencer par Eric Elmosnino, troublant de véracité.
Malgré le narcissisme du réalisateur, il est clair que Joann Sfar a su faire de son tout premier film une histoire passionnante, et qu'il réussit son pari d'éviter le biopic scolaire au profit d'une fable merveilleuse.
Gainsbourg (vie héroïque)
de Joann Sfar
avec Eric Elmosnino, Lucy Gordon, Kacey Mottet
sortie française: 20 janvier 2010
4 comments:
Si je peux me permettre une petite rectification..dans le salon Serge joue avec Kate et Charlotte; Kate étant la première fille de Jane. A cette époque, Lulu n'a pas encore vu le jour..des bises petite Fanny!
Anne
Ouiiii, merci Anne, désolée de la bévue..
http://tinyurl.com/sgsbgibb
Court de dix minutes, ce merveilleux document m'a bien plus touché que les deux heures de tournage en rond orchestrées par Sfar :)
La tete de Gainsbourg à la fin est juste incroyable..
Le documentaire est très beau, mais Sfar n'a pas du tout la même intention dans son film. Ce n'est pas comparable... Le film de Sfar est bien une fiction, et ce documentaire est.. documentaire, factuel, réel. C'est un point de vue objectif, alors que le film se revendique même complètement subjectif.
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