Tuesday, October 19, 2010

The social network, de David Fincher

Mark Zuckerberg se fait larguer par sa petite amie, la seule qui ait suffisamment de verve pour lui fermer son clapet; tentant de l'oublier, de se venger de la gente féminine toute entière, tout en poursuivant son but ultime de réussir à se faire suffisamment connaître sur le campus pour entrer dans un club select, Mark blogue sa fureur, hacke en quelques minutes les données de différentes universités, bâtit un petit programme et fait planter le serveur de Harvard. Remarqué, à raison, par les leaders des clubs, il est contacté pour les aider à monter un site, tout aussi sélectif que leurs petites réunions; sur la base de leur idée, Mark voit plus grand, se plonge dans le travail et embarque son meilleur et seul ami, Eduardo, dans la course. Le site, nommé Thefacebook, connaît un succès mondial; Mark oublie les clubs, bien plus porté par son enthousiasme et sa notoriété grandissante. Quelques années plus tard, deux procès l'opposent l'un à ses recruteurs de la première heure, qui voient leur idée développée sans leur aide, et l'autre à Eduardo, perdu sur la route du succès.

Le film, retraçant la fulgurante ascension d'un génie étudiant, et le développement éclair du réseau social Facebook, qu'il est difficile de ne pas connaître sur la toile, a pour base le livre de Ben Mezrich, The accidental Billionaires, lui-même basé sur des centaines de témoignages, documents issus des procès intentés à Mark Zuckerberg, etc... Le film est donc censé donner une image plus vraie que la réalité même, malgré que le véritable Mark Zuckerberg n'ait pas reconnu tous les faits. Mais, après tout, peu importe la vérité; au-delà du document quasi historique du net, il y a un solide scénario, celui d'un succès mondial, et l'histoire d'un simple étudiant complètement nerd devenu superstar, au point de brasser des millions, de voir ses amis se retourner contre lui et ses ennemis s'acharner encore plus. Je serais curieuse, s'il existe encore ce type de personne, de connaître l'avis d'un non-initié à Facebook face au film; il me semble bien que l'histoire de ces procès, du succès d'un gamin et de la fondation d'une entreprise peut toucher tout le monde; mais le réalisateur part forcément sur la base d'une connaissance de Facebook, de son image, de son utilité; ai-je saisi le film car je fais partie de son public, ou est-ce la subtilité du réalisateur qui m'a communiqué les informations suffisantes sur ce réseau?


L'un dans l'autre, je décide de ne pas trop me poser la question; The social network fonctionne étonnamment bien, pour un sujet de cette ampleur. La première difficulté est de mettre en scène deux procès qui se recoupent étroitement, et de jouer sur la temporalité entre ces moments "présents" - les procès se sont déroulés entre 2004 et 2008 - et des flashs-back narratifs. J'ai généralement en horreur ce procédé, qui permet des ellipses sans trop se casser la tête, aidées par des questions explicatives qui relancent l'histoire quelques mois après, quelques semaines plus tard, dans d'autres lieux que ceux quittés précédemment. Cependant, cette construction est ici percutante, extrêmement dynamique, et les scènes de questionnements des avocats en charge de l'affaire continuent de nous fournir des clés pour saisir la complexité d'un personnage dont le dysfonctionnement social est évident, ses liens avec le monde qui l'entoure et les gens qui l'encadrent. De plus, l'imbrication de deux procès, l'un fait par un ami, l'autre intenté par deux ennemis, donne lieu à des questions sensiblement différentes, dictées par une profonde déception ou par une haine farouche. La seconde difficulté était de parler d'un réseau impalpable, d'un morceau de toile d'internet, sans tomber dans la surabondance technologique. Les codes verbaux qu'utilisent Mark et ses camarades pour décrypter un réseau, monter un site, hacker un compte, sont difficilement compréhensibles, mais font partie de leurs caractères. Au-delà de ce langage de nerd, la caméra ne s'aventure que peu du côté des écrans informatiques, pour notre plus grand bonheur. Il est impossible de faire un joli plan d'un cadre serré sur une information inscrite sur un écran d'ordinateur ou de téléphone. Intelligemment, David Fincher a laissé ces froides images de côté et se concentre uniquement sur ses personnages. On pense souvent qu'être sur Facebook coupe du contact réel, humain; David Fincher prouve le contraire.


A sa réalisation intelligente, il ajoute des personnages charismatiques, qui communiquent de véritables émotions. Qu'on trouve Mark largué par sa copine touchant ou misogyne, puis, dans son ambition, arrogant  ou passionné, on reste constamment en proie aux sentiments. Ce personnage, nerd on l'a dit, déborde de complexité. Son caractère asocial n'est pas tranché; plus subtil que cela, on constate une incapacité maladive à communiquer avec le commun des mortels, un esprit d'où le second degré est quasiment exclu. Mark Zuckerberg est brillamment interprété par Jesse Eisenberg, jeune acteur quasiment inconnu - quoiqu'Allocine me précise qu'il a crevé l'écran avec le premier rôle en 2009 d'Adventurland - et qui porte le film au rang de belle réussite. Jesse Eisenberg réussit à communiquer son manque de sociabilité, son envie de plaire malgré tout, de s'intégrer, et à montrer les rouages d'un esprit obsessionnel, maniaque, précis. On notera aussi la performance de Justin Timberlake, que je n'ai probablement jamais entendu chanter, et encore moins vu jouer la comédie. Il incarne le jeune fondateur de Napster, un Sean Parker auréolé de gloire aux yeux de Mark, envoûtant, charmeur. Les autres personnages ne sont pas moins bien trouvés, Eduardo crédible dans son rôle de meilleur ami aveuglement confiant, et les frères Winklevoss, interprété par le même acteur, Armie Hammer - du moins pour le visage, le corps de Tyler étant celui de Josh Pence! - forces brutes et géants de l'aviron.


The social network est donc un film brillant, intelligent, à l'image de son personnage principal. A voir sans forcément être connecté; les personnages sont suffisamment puissants pour vivre sans se dissimuler derrière leur réseau.


The social network
de David Fincher
avec Jesse Eisenberg, Andrew Garfield, Justin Timberlake,...
sortie française: 13 octobre 2010



Une aparté sur les publicités vantant les beautés des pays dont on nous abreuve en ce moment au cinéma, avant le film. Afrique du Sud, Turquie, Kenya, la pire étant certainement celle pour l'Australie... Il n'y en a pas une pour rattraper l'autre. Serait-ce la même personne qui fabrique tous ces mini-films, sur le même moule? A base d'images censées être paradisiaques, de sourires heureux et de franches poignées de main, arrosées de musique traditionnelle envoûtante, ces publicités dénotent par leur longueur et leur petit côté DV - histoire de retranscrire une ambiance "film de vacances"? Sincèrement, je n'ai jamais eu moins envie de voyager dans ces pays-là que quand je subis la vision de ces publicités. Je vous épargne le lien DailyMotion, ces vidéos sont trop éprouvantes pour cela.

2 comments:

stif said...

Belle critique.

En ce qui me concerne j'ai trouvé que la première heure du film manquait un peu d'enjeux dramatiques. On ne s'ennuie pas mais il manque un petit quelque chose. A l'arrivée de Timberlake le film devient plus intéressant, plus nerveux également.

Fanny B. said...

Il est vrai que l'arrivée de Timberlake/Parker donne plus d'ampleur à l'ambition de Jesse/Zuckerberg. Cependant, question nervosité... La toute première scène, avec ce dialogue ultra percutant, des réponses du tac au tac, plonge tout de suite dans l'ambiance!

Merci de m'avoir lue, stif ;)