On s'introduit dans le film de Paolo Sorrentino sans le comprendre, mais toujours autant submergé par ses cadres étranges, ses mouvements amples de caméra, et sa musique enivrante, qui oscille entre pop technoïde et jazz. Les personnages, tels qu'il nous es présente, apparaissent étranges, tous juste sortis d'un réalité crue et un peu dérangeante. Il y a d'abord ce visage d'une bonne sœur, qui émerge du sable. Elle est y enterrée jusqu'au cou et deux hommes la contemplent. Puis il y a cette jeune fille, innocente sans doute, aux yeux immenses, qui descend, perdue, d'un autocar au milieu d'un parking vide, grand, froid et sous la pluie; un homme, sur un fond quasi neutre, est assis les yeux dans le vide, il regarde fixement devant lui tandis que la caméra l'entoure, décrivant un cercle autour de son couvre-chef, un bandeau blanc pointant vers le haut qui enserre son crâne et pointe vers le haut; une silhouette d'un cow-boy d'un autre âge et d'un autre lieu, tout en noir, en chapeau et en franges; un match de volley-ball entre jeunes filles, qui se déroule au ralenti, entre des draps blancs qui sèchent; et une discussion, surréaliste, autour du prix démesuré selon le père de la mariée, d'un dîner célébrant l'union à venir.
Paolo Sorrentino n'a réalisé que peu de films en une décennie entière. Et pourtant, la griffe qu'il impose avec ces quelques films est remarquable et acérée. Ses personnages sont parfaitement définis, cadrés, mais il sais ne les dévoiler qu'en temps voulu. Le spectateur doit savoir ne pas s'impatienter et attendre l'information qui lui expliquera les actes de chacun. On découvre pas à pas l'homme au bandeau, anti-héros au centre du film, qui souffre de migraines, qui ne dira jamais pourquoi il porte le bras dans le plâtre. Geremia est un "ami de famille"; c'est du moins ainsi qu'on le présente bien souvent, pour expliquer son intrusion soudaine dans le cadre familial, car l'homme, avant de prêter son argent, s'immisce, s'impose insidieusement, renifle l'odeur de l'argent qu'il peut tirer de ceux qui viennent le chercher, compte les bénéfices qu'il pourra faire. Mielleux et un peu sale, il traîne la jambe et un sac en plastique au bout de son bras paralysé par le plâtre; il savoure du bout des lèvres des chocolats qu'il n'offre jamais; il vole pour sa maman, allongée dans le grand lit de leur appartement et qu'elle ne quitte jamais , des sucreries dans les supermarchés. Radin en manque d'amour, il tente sa chance dans une agence matrimoniale et révulse même la jeune immigrée tout juste descendue de son bus, qui voit bien qu'elle n'obtiendra jamais rien de plus de lui qu'un verre d'eau. Il ne dépense rien et continue à amasser une fortune.
Une transaction comme une autre, toujours répugnante, se conclut avec le père de la mariée, jolie volleyeuse qu'il mate perversement depuis sa chambre. Cette fois cependant, Geremia tombe amoureux, viole quasiment Rosalba le jour de son mariage, et, aussi ragoûtant que cela puisse paraître, voit son amour rendu et partagé. Cet amour lui donnera les ailes nécessaires pour oser un prêt d'un million d'euros, une grosse affaire qui met en jeu tout son argent mis à l'abri dans des coffres à la banque, une transaction telle que seul son père, parti à Rome, ayant tiré un trait sur son fils, aurait pu oser.
Tous ces personnages, cette lente construction et compréhension de l'histoire, de ce qui la précède et l'explique, ces étranges et retors fils qui tirent chacun, le sur-naturel, enfin, qui domine le film, sont servis par l'habileté du réalisateur à créer une atmosphère unique: son rythme, lent et en perpétuel mouvement; sa manière de ne pas trop en dire et d'offrir au spectateur la chance de terminer ses discours; ses ruptures, abruptes; ses cadres, dont pas un ne possède une idée; et sa musique, obstinément présente jusqu'à se faire oublier, presque.
Paolo Sorrentino semble éprouver du plaisir à explorer la manière dont la nature humaine aime à manipuler ses semblables. C'est un jeu douloureux dans chacun de ses films, de comprendre la maestria avec laquelle tous cherchent à manipuler l'autre, depuis notre usurier radin, à sa mère qui façonne son fils et le laisse l'entretenir sans sortir de son lit; en passant par l'ami, le seul, de Geremia, le cow-boy qui ne vit que pour partir au Tennessee; par cette vieille femme qui dit souffrir de maladie pour que Geremia lui prête une somme conséquente, qu'elle jouera au bingo; par l'innocente immigrée aux grands yeux qui trouvera sa place auprès d'un vieil homme handicapé, à qui elle offre son amour et sa jeunesse contre une vie meilleure, une jupe et un tailleur rouge vif. Paolo Sorrentino, de la même manière finalement, manipule son spectateur et le maintient fasciné, par l'image.
L'ami de la famille
de Paolo Sorrentino
avec Giacomo Rizzo, Fabrizio Bentivoglio, Laura Chiatti,...
sortie française: mai 2007
la fiche Univers Ciné
de Paolo Sorrentino
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