Le Classics Challenge
est une proposition, qui diffère de toutes les courses, rallyes,
brevets, etc cyclistes. Paris, point de départ d'un bon nombre de tracés
mythiques au fil des ans, met à portée des villes, à 140, ou 270
kilomètres. Sur ces parcours, voici les images et les récits des 5
propositions de cette première saison du Classics Challenge, avec mon équipe, les CSP Garrigou.
Frrr,
frrr, droite, gauche, le bruit se rapproche, régulier,
agressif. Sans méchanceté, des roues carbones me dépassent sur la
route. Stéphane prend le relais, me laisse la place. Ma roue avant
se colle à son pédalier. Le vent vient de l'Ouest. Une mèche de
cheveux s'obstine à se placer pile devant mes yeux. Ma vision est
obscurcie, mon ouïe encore plus affectée, côté gauche, par les
bourrasques. Fffffffffff continuel. Au virage, on dévie (3, 4°,
calcule Jeanne), le vent vient maintenant de derrière. Il se tait,
les conversations reprennent.
On se demande chaque fois combien de
temps le soulagement va pouvoir durer. Jamais plus de deux
kilomètres. Le vent nous pousse dans le dos, sans bruit. On prend
de la vitesse sur une ligne droite et la tension baisse passagèrement. Quatre cent kilomètres, encore cinquante devant,
celui qui ose ouvrir la bouche pour faire le décompte se heurte à un silence agacé. Et si ça me motive, moi, de savoir
combien il nous reste à rouler ? Chaque fois que je regarde mon
compteur, j'ai l'impression qu'il s'est passé seulement cinq
minutes, cinq minutes qui ont duré un peu plus à se battre contre
le vent qui gueule ; je sais que le temps passe plus lentement quand ça souffle
sur le côté ; seulement cinq minutes.
Trois kilomètres de moins, gagnés dans la bataille, c'est énorme.
Chaque coup de pédale, dans ce vacarme, un second jour de route, me
parait un miracle, me fatigue un peu plus les jambes et me donne autant d'énergie. Je garde mes réflexions pour moi, muette.
Au
loin les éoliennes se secouent. La veille, sur le trajet inverse,
elles se tenaient parfaitement immobiles et c'était le soleil qui
nous faisait nous taire. Un voyage en vélo débute toujours avec une
grande désorganisation sonore. Il nous reste des heures à
passer ensemble, la fin du trajet est trop loin pour qu'on y pense
vraiment alors on discute, on s'éloigne, on s'emporte. C'est quand
le silence se fait qu'on est vraiment parti. Quand on s'organise, et
que le peloton cesse de s'étirer. Les plus rapides se tempèrent et
protègent le groupe derrière eux. Des coups d’œil et des mots
brefs remplacent les discours.
Voiture ! Vrooum, en un éclair. Quelques éclats de colère, elle est passée
trop près. Coup de klaxon, celui-ci est sympathique, bref, il dit
bonjour, d'un geste le conducteur, la main par la fenêtre, nous
souhaite bonne route. Un grondement plus lourd, un
chargement de pommes de terre nous double. Clic clac,
JP passe finalement sur le grand plateau et se lance à sa
poursuite. Aspiré, au risque de se faire assommer par une patate, il
se planque et profite. Gauche, JP ! Au rond-point, le tracteur
l'abandonne, prend la première sortie. On se rattrape, on
se réorganise, on roule toujours. Côte en vue, ce sont les
pédaliers qui s'activent, clicliclic, tout le monde en
même temps et au fur et à mesure qu'on monte, irrégulièrement
selon la force des cuisses, on descend d'une dent, claquement, puis d'une autre.
Au sommet, les respirations saccadent, les premiers regardent
derrière. Les autres ne sont pas loin, on ralentit et on prend une gorgée d'eau tiède, on repart.
Le vélo glisse sur la
route. Le pneu lui-même ne dit rien. Les rayons en revanche prennent
l'air, le malaxent et le rejettent bruyamment. Roulement de billes, quand certaines jambes se laissent porter. On entend
aussi tout autour les bruits des villages, les oiseaux des forêts.
On sent l'air qui fraîchit, les champs coupés, les odeurs des
cuisines dans les rues. On se parle, se répond, on s'entend. Le
silence est le désespoir ; le bruit criant de la faim, les conversations et
l'euphorie se partagent la route.
Un cycliste profite pleinement sur les
270 kilomètres qui le séparent de son but. J'arrive
toujours au bout étonnée de mes découvertes. Rouler donne une
capacité d'ouverture. Une méditation active, au fur et à mesure des kilomètres avalés, permet d'apprendre aussi par tous les sens.
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