Saturday, November 6, 2010

Jean-Michel Basquiat: the radiant child, de Tamra Davis - Basquiat au MAM

Jean-Michel Basquiat est un artiste étrange, sorti de la rue et décédé très jeune. Tamra Davis, une amie, en 1985, l'interviewe. Trois années plus tard, Basquiat meurt. Tamra Davis n'avait jamais jusqu'alors sorti ses images de ses tiroirs. Le fil rouge de son film est cet entretien, qu'elle entrecoupe d'interviews de personnes l'ayant côtoyé, galeristes, collectionneurs, petites amies, amis,.. et de nombreuses œuvres de l'artiste.


L'avalanche d'images est tout à fait passionnante, mais souvent assez - trop - rapide, voire épileptique. Le rythme ainsi donné au film, et soutenu par une musique très présente, donne cependant une bonne idée du bouillonnement artistique dans lequel Basquiat pouvait puiser son inspiration. Elle permet également d'avoir un excellent aperçu de l'œuvre de Jean-Michel Basquiat, pour un peu qu'on ne la connaisse pas beaucoup. Malgré ce foisonnement d'images, la réalisatrice ne se laisse pas perturber et suit un fil directeur qui maintient l'ordre dans tout cela. Ce fil est tout simplement d'ordre chronologique; l'entretien avec Basquiat évoque une à une toutes ses périodes traversées, de la rue, du graffiti aux galeries, de New York à Los Angeles, de l'anonymat à la gloire au sein d'un milieu underground des années 80.


Cette linéarité peut paraître rébarbative, mais pas du tout - ah oui, dit comme ça, c'est hyper percutant; je vais développer. Le tort du documentaire est souvent de sauter d'un thème à l'autre sans faire de lien, et de meubler le son des interviews par des plans d'images vides de sens, ou décalées par rapport au propos. La construction du documentaire de Tamra Davis est au contraire exemplaire: son entretien amorce un sujet, engendre des réactions et d'autres interviews sur ce sujet, montre les amis et les peintures de Basquiat à l'époque, puis suit un ordre chronologique jusqu'à arriver en 1985, à la date de la réalisation de l'entretien; suite à cela, sans ce fil conducteur, et abordant une période moins exubérante de la vie de Basquiat, le film perd un peu de sa force narrative mais certainement pas de son intérêt. La linéarité du film est contre-balancée par des images passées, une pellicule un peu usée et une prise audio légèrement crachouillante - j'assume l'utilisation de cet adjectif. La forme légèrement brouillonne et très dynamique de l'image est un parfait accord avec le fond à première vue scolaire.


M'ont plus gênée ces coupures étranges dans le son des interviews, comme si les phrases avaient été montées, ce qui peut paraître étrange, surtout pour un documentaire. Je n'ai pas trouvé confirmation ni infirmation de coupes de dialogues, je ne peux donc pas affirmer que les personnes interrogées aient vu leurs propos déformés; mais ces petites sautes m'ont légèrement dérangée.




L'exposition actuellement présentée au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris fait salle comble. Pour information, ne tentez pas d'y entrer sans billet coupe-file en nocturne le jeudi soir; par contre, en semaine vers l'heure du déjeuner, il y a peu d'attente, mais la foule se bouscule tout de même gentiment à l'intérieur. On croise des professionnels de la peinture, qui comparent leurs traits; Jean-Michel Basquiat a, je cite "ce truc en plus... voilà ce qu'il me manque, un truc". Oui, dans les expositions, quand je ne connais l'artiste qu'en surface, je laisse traîner mes oreilles. J'ai entendu beaucoup de gens classer Basquiat dans une case: figuratif, art brut, on veut raccorder cet artiste hors normes à ce qui est plus conventionnel.


Il est en effet difficile de saisir ses coups de pinceaux énergiques. En accord avec le film, le Musée d'Art Moderne regroupe une quantité impressionnante d'œuvres qui ne forment pourtant qu'une petite partie du travail de Basquiat. Je comprends alors mieux l'avalanche d'image dont Tamra Davis nous a auparavant abreuvée. On ressent un besoin incroyable de créer, de s'extérioriser. Jean-Michel Basquiat, avec cette facile tranquillité apparente que nous montrait le film, diffuse une sorte de rage, qui ne peut s'exprimer que sur des toiles gigantesques, comme il le faisait au début de sa carrière avec SAMO© sur les murs de la ville, sans limites. La rapidité de son coup de pinceau - enfin de crayon gras, le plus souvent - est évidente, même pour une toute petite amatrice de peinture comme moi; son énergie, la simplicité de ses premières œuvres se complexifie rapidement, lorsqu'il a accès à un véritable atelier. Les traits alors se superposent, se multiplient. La mise en scène du documentaire de Tamra Davis fait parfaitement passer cela, mais pas l'immensité des toiles, ni la bizarrerie des supports dans un troisième courant de sa carrière. Dans cette partie de l'exposition, on voit alors les visiteurs s'approcher au plus près de la fenêtre, du volet, de la porte peinturlurée, et oublier d'observer le dessin lui-même.


Il y a d'ailleurs dans l'exposition une bonne partie des dessins de Basquiat. Des feuilles plutôt grandes aussi, gribouillées jusqu'à cacher la page, ou presque nues, juste barrées d'une esquisse. On observe alors cette drôle d'obsession de Basquiat pour les rois et la puissance. En fait, en parcourant les salles, j'ai rapproché Jean-Michel Basquiat du personnage du Soliste de Joe Wright. Jean-Michel Basquiat ressemble à un enfant traumatisé, à la fois surdoué et incapable de vivre sans son art, un génie jeune et fou.




A la fin de l'exposition, un film de 22 minutes présente One day on Crosby, ou Basquiat en train de travailler dans la rue. La réalisation de Stephen Torton est parfaitement agaçante, mais conforme à ce que l'art underground exigeait en 1982. A réserver aux grands fans.



Allez, une dernière citation de visiteurs anonymes pour la route:
"Il est très... Warhol."
"Ah ouais?"
"Ouais."
Ça vous la boucle, hein?



Jean-Michel Basquiat: the radiant child
de Tamra Davis
sortie française: 13 octobre 2010
Basquiat
au Musée d'Art Moderne
jusqu'au 30 janvier 2010

2 comments:

Anonymous said...

Si je puis me permettre l'art brut est sans doute la forme d'art la moins conventionnelle qui soit...

Fanny B. said...

@Anonymous
Vous pouvez tout vous permettre... Même si l'art brut n'est pas conventionnel, c'est tout de même une petite case étiquetée...