Gu-nam, chauffeur de taxi, doit rembourser aux petits mafieux de Yanji, cette ville chinoise coincée entre la Corée du Nord et la Russie, le prix du visa de sa femme pour Séoul. Il n'y a pas plus déprimant que Yanji, où la population sino-coréenne vit pour moitié d'activités illégales. Gu-nam perd chaque soir ses gains au mah-jong, se réveille sous les coups de ses créditeurs, et repart travailler. Un soir, il est remarqué par Myun-ga, grosse pointure dans le monde du commerce illégal. Son air tenace, ses poings fermes, et sa malchance à toute épreuve en font le candidat idéal pour être envoyé en Corée du Sud tuer un homme, et ainsi rembourser sa dette. Gu-nam n'a rien à perdre, et prend le bateau pour Séoul, où il planifie son meurtre et se met à la recherche de sa femme. Les choses ne tournent pas à son avantage, et, après avoir récupéré le pouce de l'homme qu'il avait à abattre, commence une traque sans fin, engageant la police coréenne, Myun-ga et son équipe, mais aussi un mafieux coréen et ses hommes de main, tous derrière l'ancien chauffeur de taxi.
The murderer, sélectionné dans la section Un certain regard au Festival de Cannes 2011, a été projeté au Reflet Médicis la semaine dernière; le cinéma projetait tous les films de la sélection, et j'ai choisi de voir celui-ci sans m'occuper de ce dont il parlait, juste en fonction de l'heure, de ma disponibilité; et j'ai même failli renoncer en voyant qu'il durait 2h20, et qu'on me faisait payer la somme faramineuse de 5€ alors que j'avais mon Pass cinéma. Je suis passée au-dessus de toutes ces considérations temporelles et financières, et bien m'en a pris: ce fut une énorme claque dans cette petite salle bondée et mal ventilée. Ce n'est qu'ensuite que j'ai enquêté - google-é -, et découvert que Na Hong-jin était le réalisateur du furieux The chaser.
Na Hong-jin réussit son film sur plusieurs plans, avec un scénario qui projette un homme ordinaire en plein milieu mafieux, où la vie est loin d'être simple; il recoupe les vies de ses personnages avec une belle ironie; il manie donc son histoire et ses personnages comme un maître. Sa réalisation est d'un style reconnaissable, qui sait jouer des rythmes et des cadres pour soutenir visuellement la route sur sa longue durée. Et il réussit par-dessus à donner une note sociale, une vision moderne d'une société déchirée. Voilà pour résumer en trois points la grande réussite de The murderer.
Le héros de Na Hong-jin n'en est pas vraiment un. Gu-nam est un homme ordinaire, un peu plus malchanceux que les autres tout au plus, en prise avec sa solitude. Il nous est rendu humain par le mélange d'amour et de haine qu'il porte à sa femme partie. Il l'aime encore, évidemment, au travers des souvenirs de leurs nuits d'amour - scènes de sexe assez intenses en flash-back - et via le regard très tendre qu'il porte sur sa fille, élevée à la dur par sa grand-mère, la mère de Gu-nam. La recherche qui le pousse très compréhensiblement à accepter de tuer un homme, est justifié par cet amour, et aussi par la haine désespérée qu'il met à retrouver celle qui, tout le monde le lui affirme, l'a sans doute trompé et abandonné avec une dette à rembourser. Gu-nam devient cependant une bête durant cette traque incroyable qui suit la mort de l'homme à abattre; son instinct de survie le place dans les situations les plus extrêmes, le pousse à assassiner, l'aide à tenir, blessé par mille coups.
Les hommes qui l'entourent sont eux plutôt gérés comme des bêtes; Myun-ga se rapproche étrangement de ces chiens dont il fait le commerce; le mafieux coréen, lui, ressemble à un puceron, caché derrière son veston bien coupé. Ils ont chacun des instincts plus bestiaux qu'humain, et tuent sans retenue, sans qu'on l'on ne s'en étonne réellement. L'un et l'autre ont des méthodes différentes - et leurs oppositions prêtent à sourire sous le sang; si l'un se salit les mains, l'autre n'en est pas moins cruel. Et cette cruauté renvoie alors à ce scénario ficelé avec maestria, mettant en parallèle l'amour de Gu-nam à sa femme et celui des commanditaires des meurtres. Et c'est là, qu'au milieu des poursuites en voiture et des carambolages, des hachettes maniées comme un boucher, des explosions, du sexe et du sang, que Na Hong-jin réussit le miracle de faire rire.
C'est d'abord cette ironie patente qui prête au rire, un rire un peu jaune, un peu triste, lorsqu'on s'aperçoit que certains tuent, jouent avec l'argent, pour la même chose qui ferait que d'autres triment, pleurent, et restent seuls. Il y a ensuite cette critique acerbe et cynique d'une société à la fois dépravée et sur un constant déclin. Les rues sont tristes, les appartements lugubres, les hommes patauds; et la force de ces accumulations, les erreurs humaines, si visibles, finissent par avoir tellement d'absurdité qu'on ne peut s'empêcher d'en rire. La police, déjà moquée dans The Chaser, en prend pour son grade. Et de nouveau, Na Hong-jin fait jouer cette opposition avec la volonté de bien faire de certains, et le manque évident de formation des autres, leurs maladresses qui fait tout rater, et qui laisse le terrain aux mafieux. Par cette mise en scène ironique d'une société désorganisée, le réalisateur fait le portrait acide d'un monde qui ne peut même pas être contrôlé.
Voilà donc un film dont je n'attendais rien, ni en bien ni en mal; et une claque énorme, qui plaira aux afficionados de baston brutale et aux accros de cinéma intelligent à message, n'ayant cependant pas froid aux yeux.
C'est d'abord cette ironie patente qui prête au rire, un rire un peu jaune, un peu triste, lorsqu'on s'aperçoit que certains tuent, jouent avec l'argent, pour la même chose qui ferait que d'autres triment, pleurent, et restent seuls. Il y a ensuite cette critique acerbe et cynique d'une société à la fois dépravée et sur un constant déclin. Les rues sont tristes, les appartements lugubres, les hommes patauds; et la force de ces accumulations, les erreurs humaines, si visibles, finissent par avoir tellement d'absurdité qu'on ne peut s'empêcher d'en rire. La police, déjà moquée dans The Chaser, en prend pour son grade. Et de nouveau, Na Hong-jin fait jouer cette opposition avec la volonté de bien faire de certains, et le manque évident de formation des autres, leurs maladresses qui fait tout rater, et qui laisse le terrain aux mafieux. Par cette mise en scène ironique d'une société désorganisée, le réalisateur fait le portrait acide d'un monde qui ne peut même pas être contrôlé.
Voilà donc un film dont je n'attendais rien, ni en bien ni en mal; et une claque énorme, qui plaira aux afficionados de baston brutale et aux accros de cinéma intelligent à message, n'ayant cependant pas froid aux yeux.
The murderer
de Na Hong-jin
avec Kim Yun-seok, Jung-woo Ha, Jo Seong-Ha,...
sortie française: 13 juillet 2011
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