Monday, March 15, 2010

Achille et la tortue, de Takeshi Kitano

Machisu, tout petit, est encouragé à dessiner. Son père, mauvais amateur d'art, richissime, aperçoit un avenir en ses gribouillages. Sa famille ruinée, Machisu se retrouve chez son oncle, qui vit à la campagne, et qui ne voit en lui qu'un poids; son engouement pour le dessin n'est plus vraiment favorisé, mais Machisu, malgré les coups, continue. Jeune homme, il délaisse de temps en temps son travail pour s'arrêter au bord d'une route et faire des croquis. Malgré son inlassable coup de crayon, les amateurs d'art ne veulent pas de son travail, et Machisu fréquente alors pour la première fois une école, et ses étudiants qui l'entraînent dans leurs expérimentations. Marié, Machisu ne gagne cependant toujours pas sa vie avec ses oeuvres. Sa fille se prostitue pour faire vivre la famille, et sa femme le suit presque inlassablement dans ses excentricités visant à créer toujours des nouveautés.


Achille et la tortue est le troisième volet d'un triptyque plus ou moins autobiographique (avec Glory to the filmmaker! en 2008 et Takeshis' en 2006) de Takeshi Kitano, qui cherche, au travers de ces trois films, à réfléchir sur la condition d'artiste. Takeshi Kitano aime à mêler l'art et la science, et ouvre donc son film avec sur séquence animée qui explique le paradoxe de Zénon d'Elée, et pourquoi, sur une course de 100 mètres, le héros grec Achille n'a jamais réussi à rattraper la tortue qui partait avec un avantage de 90 mètres. Dans un graphisme simpliste, à l'image de toute une mise en scène extrêmement ordinaire, Takeshi Kitano s'amuse d'une anecdote qui résume tout son film; même si Achille s'acharne à courir encore et encore plus vite, il ne dépassera jamais la tortue. De la même manière, son héros continue à dessiner, à apprendre, à essayer, mais jamais il ne verra son labeur récompensé.



Que veut donc dire le réalisateur? Que l'artiste se doit, sans doute, ne pas se soucier de l'avis des autres; il doit créer, s'il en a le besoin incontrôlable, et peu importe que son talent ne soit pas reconnu. Malmené par les personnes qui l'entourent, par les événements de sa vie, Machisu ne se consacre qu'à sa passion. La mort surtout le poursuit, jusqu'au point où il éprouvera le désir de la devancer. Ce côté mortifère ponctue le film de cadavres tous plus absurdes les uns que les autres; son père se tuera aux côtés de son amante, geisha énorme au visage peinturluré de blanc; sa mère, femme fragile, sautera d'une falaise et son visage, à demi rouge de sang, sert alors de modèle au petit Machisu; son ami qui l'aide à surmonter les coups de son oncle se jette sous les roues du car qui l'emmène au loin; et bien d'autres... Très ironiquement, Machisu croise certaines de ses oeuvres exposées, et donc achetées, alors qu'il les avait délaissées et mises de côté, découragé par le retour négatif des amateurs d'art qui les commentaient. Faut-il penser que la persévérance aboutit tout de même à la reconnaissance? Il n'en est sans doute rien, car Machisu semble n'avoir réellement aucun talent, créant sans idée, et recopiant sans innover.


Le style de Kitano, absurde, parsemé d'humour incongru, est bien là. L'ensemble est cependant un peu barbant, sans doute à cause de la trop grande simplicité dans la mise en scène, qui rapproche l'oeuvre cinématographique d'un drame pour enfants. Deux heures, peut-être, sont de trop, pour montrer le trop plein créatif de Machisu de manière passionnante. Le personnage, taciturne, ne semble pas même comprendre pourquoi il dessine, à part pour gagner sa vie. Egoïste, il oublie ses comparses pour continuer à tenter d'approcher son rêve. Sans réflexion, il écoute et répond à un galeriste, fils d'un ancien client de son père, qui lui donne chaque fois une direction différente dans laquelle creuser. L'amour de sa femme, qui continue à croire en lui, et le soutient malgré ses délires excentriques, et le manque d'argent, est un des aspects positifs du film.


Le réalisateur exprime par-dessus tout son amour de la peinture, sa principale activité avec la réalisation, qui le rend célèbre à l'international, et l'écriture de sketchs pour la télévision, qui fait sa popularité au Japon. La peinture, c'est d'ailleurs le thème de l'exposition actuellement présentée à la Fondation Cartier, et dont Takeshi Kitano, aussi prolifique que son personnage, a lui-même supervisé l'installation. Légèrement déçue par le film, j'espère que l'exposition fera à nouveau de Takeshi Kitano (à mes yeux) un artiste génial.


Achille et la tortue
de Takeshi Kitano
avec: Takeshi Kitano, Kanako Higuchi, Yurei Yanagi,...
sortie française: 10 mars 2010

3 comments:

Knorc said...

Je voulais voir au moins un film de Kitano avant Cannes, mais si j'en crois ton article Achille et la tortue ne semble le plus réussi... puis si c'est le troisième volet d'un triptyque ce n'est peut-être pas l'idéal de commencer par là.
Quel film me conseillerais-tu ?

Fanny said...

Si tu tiens à voir une de ses dernières productions, oui, tente Achille et la tortue... Si ça ne te gêne pas de remonter jusqu'en 1996, regarde plutôt Kids return, Hana-Bi (1997), Aniki mon frère (2001), ou Zatoichi (2003). Des films tous différents, et tous représentatifs de Kitano. La trilogie Takeshis', Glory to the filmmaker! et Achille et la tortue me semble plus difficile d'accès.

Knorc said...

Merci ! Je vais voir si je trouve ceux que tu as cité. ;)