Thursday, March 18, 2010

Fleur du désert, de Sherry Hormann

Waris vit en Somalie, avec sa famille, leurs chèvres, leurs chameaux, et son petit frère qu'elle adore. Elle a treize ans, et va devenir la quatrième épouse d'un vieil homme qu'elle n'a jamais vu. Alors, Waris part, marche à travers le désert, et atterrit à Modagiscio, où sa grand-mère la recueille. Mais Waris ne peut pas rester là, elle a renié sa famille. On la retrouve à Londres, où elle a passé quelques années sans réussir à apprendre le moindre mot en anglais. Marylin, vendeuse qui rêve d'être danseuse, l'héberge un peu contre son gré. Elle se prend d'amitié pour la jeune somalienne, et lui trouve un boulot dans un fast-food. C'est là qu'un célèbre photographe, Donaldson, excentrique qui se nourrit de burgers et vit nus pieds, la remarque. C'est le début de la carrière de mannequin de Waris, qui est cependant toujours sous la menace d'une expulsion. Malgré la célébrité, l'argent, Waris n'oublie pas ce jour qui a changé sa vie; pas celui où elle est arrivée en Europe, ni même celui où elle a rencontré Marylin; pas non plus celui où elle a tapé dans l'oeil de Donaldson; mais celui de son excision, à trois ans.



Waris Dirie a réellement existé, et c'est le livre de sa vie que Sherry Hormann a adapté. Des détails changent, mais la force de son histoire est bien là. L'existence de Waris pourrait ressembler à un conte de fée, celui de la petite fille du désert qui finit par faire la couverture de Vogue. C'est sans compter que les souffrances endurées ont été réelles, et que chaque moment de bonheur durement acquis bascule aussitôt à nouveau dans le cauchemar. La réalisatrice réussit à ne jamais laisser son scénario tomber dans la vulgarité d'un téléfilm jouant de clichés faciles, exercice auquel elle doit pourtant être bien plus habituée, ayant travaillé pour la télévision plutôt que pour le cinéma. Chaque victoire de Waris pourrait faire basculer l'histoire dans la bluette, ou la comédie à l'eau de rose. Mais l'intelligence du scénario est de montrer le dur chemin qui précède la réussite, et la brièveté du triomphe. A peine Waris a-t-elle échappé au mariage forcé qu'elle marche des jours, seuls, dans le désert; à peine a-t-elle atteint la ville que sa tante veut la chasser; elle met le pied sur le territoire britannique? C'est pour être enfermée dans la maison de son oncle où elle travaille comme une esclave sans jamais sortir. Elle va prendre l'avion qui l'emmènera sur les catwalk du monde? Elle n'aura même pas le temps de mettre le pied sur le tapis roulant qu'elle sera enfermée, pour défaut de visa. Rien n'est jamais acquis pour la jeune femme dont on peut penser qu'elle a la chance de son physique, l'opportunité de rencontrer par hasard un grand photographe, ou de se lier d'amitié avec Marylin, pas envieuse pour un sou. 


Toutes ces épreuves, succédant à la chance, qui précède de nouveaux déboires, ne sont là que dans le but ultime de renforcer le tout dernier message, le dernier et le seul, de Waris Dirie; celui qu'elle a été la première à évoquer publiquement, qu'elle a mis au devant de la scène politique mondiale et pour lequel elle a été nominée ambassadrice de l'ONU. Waris Dirie veut parler de l'excision, souhaite que le monde reconnaisse cette pratique comme une mutilation, et veut donner un autre sens à l'expression "être une femme". Et c'est grâce à tout son parcours précédemment montré, au terme d'une heure et demi où l'on évoque seulement sans s'y attarder la barbarie à laquelle Waris a été soumise petite fille, et qu'elle considère, au début, comme la norme, que le message prend sa vraie dimension. Tout au long du film, Waris est une femme mutilée, que l'on sait, mais qui vit avec ce sexe atrophié. On la voit avant tout SDF, puis top model, employée dans un fast-food, étudiante heureuse de s'intégrer et d'apprendre. Une fois que son personnage est dessiné clairement, lentement, avec ses blessures profondes et ses joies éphémères, alors qu'enfin elle a tout, il lui reste ce message. Et Waris raconte, en flash-back, le sang, la tradition, les jambes d'enfant écartées sur un rocher au milieu du désert, hurlant dans les bras de sa mère. Elle met les mots sur un un terme tabou, pas violemment mais crûment, et fait pleurer la journaliste qui voulait publier un conte de fée et se retrouve avec un sujet plus fort sous les doigts. Le spectateur aussi pleure, face à la violence physique, mais aussi en voyant cette femme, qui a continué son chemin, bravement, en ayant supporté les humiliations toute sa vie. Waris a rit et aimé, réussi; mais elle est également une survivante, qui aurait pu sans honte abandonner tout combat.


Le scénario est donc brillant, et servi par une mise en scène simple. Sans artifice de caméra, à la manière d'un téléfilm mais sans le côté vulgaire d'une image télévisée, les actes sont plus percutants que la réalisation. Pas de fioritures excessives, la joie comme le malheur sont sobres et efficaces. Liya Kebede excelle dans le rôle de Waris, touchante; Sally Hawkins, découverte notamment dans le rôle principal de Be Happy, exubérante et délurée, attachante. 


Fleur du désert mérite d'être vu, et l'excision de ne pas être considérée comme une pratique aujourd'hui oubliée. Le film est bouleversant.


Fleur du désert
de Sherry Hormann
avec Liya Kebede, Sally Hawkins, Timothy Spall,...
sortie française: 10 mars 2010

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