Monday, September 27, 2010

Amore, de Luca Guadagnino

Une famille italienne, unie par un société commune, que le grand-père, patriarche de ce clan, se prépare à laisser entre les mains de sa descendance, dénoue des liens qui semblaient si forts, et qui finalement se révèlent fragiles. Entre Milan, San Remo et Londres, le cœur des Recchi est aussi incarné en la figure maternelle d'Emma, chez qui toujours chacun revient. D'origine russe, Emma se sent aujourd'hui complètement italienne; à l'image de son clan, elle dépend des uns et des autres, mais chacun dépend surtout de sa force. Cependant, lorsque des fissures apparaissent, Emma est celle pour qui le démantèlement de sa famille est le plus dangereux, douloureux.


Est-ce un talent tout italien, que de se plonger ainsi au cœur de ces familles immenses, soudées par les liens du sang, et par une entreprise aussi? Ou est-ce simplement que, nulle part ailleurs, on ne trouve cet exemple de vie en communauté, ces membres repliés dans le giron maternel, régis par la loi du père et par des traditions qui semblent ancestrales? Du Parrain à Nos meilleures années - fresque de plus de six heures du réalisateur Marco Tullio Giordana-, le talent cinématographique d'une nation s'exprime magnifiquement dans ces mœurs familiales. Les éléments classiques du genre sont réunis: la maison rassemble les membres de la famille, liés par leurs liens sociaux et du sang; le grand-père cède sa place et meurt. Sans nouveau patriarche à leur tête, le ciment qui liait les siens fond. A partir de là, les êtres s'éloignent de la maison familiale, et dérivent.


Il est intéressant d'avoir introduit un gène russe dans cette histoire toute italienne. Je ne suis pas exactement au fait de la place de la famille en Russie, mais dans Amore, ce sont ceux, décrits comme les plus Russes des Recchi, qui sont les premiers à partir, comme si leur sang refusait de se soumettre à la loi familiale. Betta, la jeune lesbienne qui se découvre à Londres, possède les traits et la blondeur teintée de roux de sa mère. Eduardo rassemble les atouts physiques et intellectuels qui lui attirent les compliments de toute sa famille, mais se refuse à trahir ses principes pour elle. Il est le plus attaché à sa mère, et cela se trahit discrètement, par la langue russe qu'il parle, par son attachement à un plat qu'elle lui préparait enfant et qu'il adorait. Ces deux êtres sont les plus bouleversés, après Emma, lorsque leur monde s'effondre.


Ces changements profonds et perturbants restent cependant incroyablement subtils. La bande-annonce, si vous la voyez, laisse présager de la force d'une image qui se départit du poids trop lourd des mots et des explications. La scène d'introduction, très longue, assez lente - à l'image du reste du film -, est caractéristique des minutes qui suivent. Là où d'autres auraient multiplié les saynètes, présentant les personnages individuellement dans une approche un peu timide, Luca Guadagnino nous plonge aussitôt dans une grande réunion. Les rôles semblent se distribuer d'eux-mêmes, les caractères se précisent sur un coup d'œil, fuyant ou appuyé, de petites piques lancées innocemment, l'attente respectueuse d'un compliment. La hiérarchie est établie, et l'équilibre déjà laisse présager un futur morcelé.


Emma est au centre de ce monde fragile. La silhouette si particulière de Tilda Swinton se détache sur tous les plans, éclatante en orange, drapée dans sa solitude flamboyante et précieuse. Lorsqu'elle ne s'occupe pas à réunir les membres de sa famille, Emma vit une existence solitaire, se confie aux domestiques et les aide à leurs tâches. Et soudain, dans ce dénuement, l'amour survient. Cette découverte d'un monde, extérieur aux Recchi, est délicate, s'étale sur plusieurs mois et en plusieurs scènes clés. Pas de coup de foudre, d'éclat destructeur; c'est insidieusement que se glisse en Emma l'idée de la possibilité d'une vie loin des siens. La longueur des séquences fait que le film se construit sur peu de décors différents. Le développement profond de chaque moment de la vie d'Emma permet de dévoiler l'essentiel, sans multiplier les exemples. Cette réalisation intelligente, intense, donne toute sa force au caractère d'Emma et sublime les brusques changements de rythme.


Le drame s'insinue dans cette famille par traîtrise; chacun perd un peu, avant qu'Emma ne perde tout. Parfois tout s'accélère, et le drame surgit, éclate. Nos cœurs de spectateurs suivent ces coups du sort, s'emballent et suivent la mesure des évènements soudainement cadencés. Le réalisateur maîtrise à la perfection les émotions de chacun. Ajoutez à cela des cadres parfaitement construits, à la fois beaux et lourds de sens, et vous avez le type de film que j'aime.


Il est très difficile de résumer Amore, qui se repose entièrement sur son ambiance et sur son actrice principale. Les seconds rôles, discrets ont une place impeccable également; mais Tilda Swinton est extraordinaire de grâce et de force.



Amore
de Luca Guadagnino
avec Tilda Swinton, Flavio Parenti, Alba Rohrwacher,...
sortie française: 22 septembre 2010

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