André Kertész est actuellement, et plus pour très longtemps, exposé au Jeu de Paume. Cet artiste hongrois décédé il y a vingt-six ans est l'un de ceux qui ont élevés la photographie au rang d'art à part entière. André Kertész se disait amateur, tant la spontanéité et le naturel lui tenaient à la main et à l'œil. L'amateur, éclairé, a été largement reconnu de son vivant, entre sa Hongrie natale, Paris, qui l'a adulé, et New-York, où il a vécu dans une certaine solitude et tristesse. Comme d'habitude au Jeu de Paume, l'exposition suit une mise en scène agréable, sur deux étages qui séparent le travail du photographe selon des scénographies un peu différentes.
La première partie de l'exposition présente des clichés anciens, de minuscules tirages d'époque perdus au centre d'immenses cadres blancs. Il faut s'approcher au plus près pour distinguer des scènes quotidiennes, les rues qu'a arpentées André Kertész, les gens qui l'ont entouré et qui lui ont servi de modèles. Ces clichés ne semblent ni posés ni totalement spontanés, dûment réfléchis puis mis en scène de manière tout de même rapide, instinctive.
André Kertész semble posséder cet œil observateur de manière innée, et composer des moments uniques sans même y penser. Ce qui est incroyable, c'est que cette facilité transpire dans chacun de ses clichés. Ce n'est peut-être pas très sympa de ma part de ressentir qu'il ne travaille pas, mais c'est pourtant un joli compliment; André Kertész est tout pétri de sens artistique, jusqu'à la moelle. Il cherche, s'obsède pour un sujet, s'en amuse et prend ses distances et la photo; de ses Distorsions à ses recherches sur les ombres, en passant par son obsession pour les cheminées new-yorkaises, le spectateur ressent dans sa photographie l'attraction qu'il a pour des détails qui ont leur importance. Tout artiste a ses angoisses, aussi, et si sa période parisienne ressemble à la joie, sa période new-yorkaise est évidente de tourments et de tristesse.
La spontanéité, la clarté, voilà ce qui m'a séduit chez André Kertész. Il est intriguant de penser que son geste si rapide capte des instants en argentique... André Kertész transporte ses objectifs, en change selon son sujet, et réussit, toujours, à prendre un cliché en plein mouvement. Il pense son image, la compose, la réfléchit en professionnel, et imprime le négatif une fois ces analyses réduites au néant, en dilettante.
Le dernier détail ne pouvait que me plaire: André Kertész, non content de prendre des photos, les cadre, les recadre, les recompose encore une fois lorsqu'il les agrandit et les imprime sur papier glacé. Le travail de post-production, c'est un peu mon domaine. J'aime ce moment d'intimité dans la chambre noire avec le négatif qu'on repense, et dont on ôte toute superficialité pour aller à l'essentiel. Certains clichés sont ainsi exposés plusieurs fois, selon les multiples recadrages subis, jusqu'à la décision finale. André Kertész n'abandonne pas son négatif une fois impressionné, mais le travaille jusqu'au bout. On peut voir au Jeu de Paume dix fois le même cliché, remanié par le photographe mais aussi par les maquettistes des journaux dans lesquels il publiait fréquemment.
L'exposition se termine le 6 février, navrée de prévenir aussi tard... mais il faut s'y rendre absolument , et ce avant la semaine prochaine!!
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